Igor Sechin n’a pas l’habitude de se confier au hasard. Il préfère l’organiser. Question de déformation professionnelle pour cet ancien interprète en français et en portugais qui a bâti sa carrière à l’ombre des services secrets. Frère d’armes de Vladimir Poutine, il est aujourd’hui à la tête de la première compagnie pétrolière de Russie et tire les ficelles de tout ce qui concerne la politique énergétique du pays. C’est pourtant lui que le directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Fatih Birol, a accusé, à mot couvert, de « jouer à la roulette russe ». Un jeu de hasard souvent mortel. C’est en effet l’intransigeance du prince Igor qui a poussé l’Arabie saoudite à renoncer à son projet de réduction conjointe des capacités de production pour maintenir les prix.
Lundi 9 mars, le Royaume a annoncé l’écrasement de ses prix et l’augmentation de sa production, sur un marché déjà en surcapacité. Avec l’arrêt de l’économie chinoise, la consommation d’or noir dans le monde pourrait bien cette année baisser pour la première fois depuis la crise de 2008. Casser les prix et augmenter les quantités alors que les clients sont moins gourmands a déjà produit l’effet escompté, l’effondrement des cours mondiaux, la panique sur les marchés et la propagation au reste de l’économie.
Pourquoi une telle hâte à se précipiter vers l’abîme ? L’Arabie saoudite veut punir la Russie de n’avoir pas voulu jouer le jeu du cartel de l’OPEP. Cette dernière, elle, veut punir l’Amérique et ne croit plus à la stratégie saoudienne. En moins de quatre ans, les Etats-Unis, qui ne sont pas membres de l’OPEP, sont devenus un exportateur majeur de pétrole brut en multipliant par plus de six leur production. Pour Igor Sechin, ce sont les grands gagnants des politiques malthusiennes de l’OPEP. A chaque fois que les pétroliers réduisaient leur production, les Américains récupéraient les parts de marché perdues.
Mordre la poussière
Moscou veut donc leur faire mordre la poussière. Selon une récente étude de la réserve fédérale de Dallas, 59 % des pétroliers du Texas ont besoin d’un baril au-dessus de 50 dollars pour financer leurs investissements. Il flirte aujourd’hui avec les 35 dollars. D’où la déconfiture boursière des grandes banques américaines qui les soutiennent.
L’Arabie saoudite y perdra aussi. Les cours actuels sont à la moitié de ce qui serait nécessaire pour équilibrer un budget déjà miné par l’interminable guerre au Yémen. Avec des coûts plus élevés et une industrie moins performante, les Russes vont également voir leurs ressources rétrécir. La lutte est donc psychologique : qui cédera le premier ? Au jeu capitaliste, ce serait le plus agile, donc les Etats-Unis. Mais la roulette russe peut obéir à d’autres règles.
LE MONDE