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Après soixante jours de trêve, l’armée israélienne a ouvert le feu sur des Libanais qui voulaient regagner leur village.
Les craintes libanaises se sont matérialisées à l’échéance de la période de soixante jours fixée par l’accord de cessez-le-feu du 26 novembre à l’issue de treize mois d’un conflit entre le Hezbollah et Israël. L’armée israélienne n’a pas achevé son retrait du sud du Liban, qui devait permettre le déploiement de l’armée libanaise aux côtés des Casques bleus de la Finul, en lieu et place des combattants de l’organisation alliée de l’Iran. Israël accuse le Hezbollah de ne pas avoir respecté son engagement de se retirer au nord du fleuve Litani, et affirme avoir demandé à l’Administration Trump de reporter l’échéance.
Cette position est jugée inadmissible par le tout nouveau chef de l’État libanais, qui en a appelé samedi à son homologue français, Emmanuel Macron, parrain de l’accord aux côtés des États-Unis. L’excommandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, a été élu avec pour mission de garantir le rétablissement de la souveraineté de l’État libanais sur tout le territoire. « Les engagements pris par les parties doivent être honorés dans les plus brefs délais », a répondu Emmanuel Macron, qui était le 17 janvier à Beyrouth pour féliciter le tout nouveau président et lui affirmer le soutien de la France.
De fait, c’est l’armée israélienne qui décide du tempo, constate Nicholas Blanford, chercheur au centre de réflexion Atlantic Council. « En continuant d’opérer sur le terrain, de faire exploser des tunnels, de brûler des villages, elle a compliqué singulièrement le déploiement de l’armée libanaise, qui respecte globalement sa part de l’engagement », dit-il. Or, explique-t-on de source diplomatique, la résolution de problèmes logistiques a pris du temps. La question du démantèlement des infrastructures et des entrepôts d’armes constitués au fil des ans par le Hezbollah est particulièrement problématique. « Le plus souvent, Israël signale indirectement à l’armée libanaise les positions concernées. Dans d’autres cas, le Hezbollah laisse le terrain libre à l’armée, à charge pour elle de procéder à l’inspection des lieux sans empressement pour l’orienter », explique un connaisseur. « L’armée libanaise fait aussi vite qu’elle peut étant donné ses ressources. En tout état de cause, Israël était censé se retirer dans les soixante jours et a choisi de tergiverser », souligne Nicholas Blanford.
Une mobilisation encouragée par le Hezbollah
Le porte-parole militaire israélien en langue arabe a multiplié les messages avertissant les habitants d’une soixantaine de localités frontalières de ne pas rentrer chez eux. Une interdiction qui fut bravée ouvertement dimanche tout au long de la frontière, provoquant une montée palpable de la tension. Par centaines, des villageois se sont rendus en voiture et à pied dans leurs villages et se sont retrouvés souvent nez à nez avec les chars et les soldats israéliens. Armés de leurs téléphones portables, ils ont filmé cette mobilisation diffusée largement sur les réseaux sociaux avant que des chaînes de télévision se mettent aussi de la partie, suscitant des élans patriotiques à travers le pays.
À Haroun, par exemple, on a vu une femme d’un certain âge avancer seule face à l’occupant, à qui elle a crié : « Ceci est notre terre. » À Kfar Kila, une vidéo montre un cortège d’hommes, de femmes et d’enfants brandissant des drapeaux du Hezbollah encouragés à avancer vers les positions israéliennes, à pied, malgré les tirs. Les soldats ont ouvert le feu à e plusieurs reprises. Le bilan était dimanche soir d’au moins 22 morts et 124 blessés. L’armée libanaise, qui a pour a sa part déploré au moins un tué, n’a pas réussi à endiguer le mouvement, mais a cherché à assurer au mieux la sécurité des citoyens face à « l’ennemi israélien, qui persiste à violer la souveraineté du Liban », a-t-elle dénoncé dans un communiqué.
Malgré son insistance sur le caractère spontané du retour des civils chez eux, l’implication du Hezbollah est explicite. Ce qui se joue pour l’organisation est existentiel, explique l’analyste politique Khaldoun el Charif. « Ce retour dans le Sud montre qu’il conserve une forte capacité de mobilisation dans la communauté chiite et qu’il vient d’opérer un changement d’image en déviant le mécontentement de sa base vers le nouveau tandem exécutif enjoint de défendre la souveraineté de tout le territoire. » Après sa lourde défaite militaire, la formation a cédé beaucoup de terrain politique en se résignant à l’élection de Joseph Aoun et à la désignation de Nawaf Salam à la présidence du Conseil, qui n’avait pas sa préférence.
« Le Hezbollah n’a aucune envie de risquer une nouvelle escalade et sa priorité est d’enclencher le processus de reconstruction pour réconforter sa base sociale », souligne Nicholas Blanford.