L’ÉCLAIRAGE
L’attitude pour le moins légère qu’un camp a choisi d’adopter vis-à-vis d’une échéance aussi fondamentale que la présidentielle n’est pas sans provoquer stupeur et consternation chez diverses autorités politiques, spirituelles et civiles : détournement des bulletins blancs de leur fonction initiale, puis exploitation des morts pour réveiller, d’une manière peu ragoûtante, les démons de la guerre, et, enfin, torpillage des séances par défaut de quorum. Ces autorités ne cachent pas leur inquiétude face à ce comportement, dont l’objectif est de mener le pays à une vacance présidentielle, d’autant que les resquilleurs ont bien assuré leur place au soleil au sein du cabinet Salam, qui héritera des pouvoirs présidentiels après le 25 mai, en cas de vide. C’est d’ailleurs dans cet objectif que le 8 Mars a facilité la formation du gouvernement, selon un député du 8 Mars.
Pour le 14 Mars, il est clair que le 8 Mars ne veut pas d’un nouveau président pour l’instant et préfère renvoyer l’échéance à septembre, dans l’attente des développements dans la région. Le camp emmené par le Hezbollah prétend que c’est pour cela qu’il n’a toujours pas annoncé officiellement que son candidat est le général Michel Aoun. En fait, ce dernier aurait réclamé un délai de grâce à son camp, en attendant une réponse du chef du courant du Futur, Saad Hariri.
Mais, pour le 14 Mars, ces théories ne tiennent pas debout : le Hezbollah ne veut pas de la candidature du chef du Courant patriotique libre. Par ailleurs, même si le courant du Futur viendrait à abandonner son soutien au président des Forces libanaises, Samir Geagea, ce serait à l’avantage d’un autre candidat du 14 Mars, ou alors, en dernière extrémité, d’un candidat consensuel agréé par toutes les parties. Le 14 Mars est en effet résolu à préserver son unité jusqu’au bout, ce qui incite des sources de la coalition à écarter complètement la possibilité d’un soutien du Futur à Aoun.
Lors de leur dernière rencontre à Paris, Saad Hariri n’a d’ailleurs pas donné de réponse au ministre Gebran Bassil. Les deux hommes se sont entendus sur la nécessité de poursuivre les concertations pour que l’échéance ait lieu dans le respect des délais constitutionnels.
De sources bien informées proches de milieux ecclésiastiques, le Hezbollah aurait chargé le président de la Chambre, Nabih Berry, du dossier de la présidentielle. Le parti chiite aurait par ailleurs affirmé qu’il « soutient la candidature de Aoun… en attendant la réponse du courant du Futur ». Le Hezbollah aurait ainsi fait savoir qu’il soutiendra la décision du chef du CPL s’il décide de se retirer de la course, et qu’en définitive, c’est Nabih Berry qui mène la partie au nom du 8 Mars.
Face à toutes ces données, le 14 Mars craint sérieusement que la stratégie du 8 Mars, et du Hezbollah en particulier, ne soit le vide, qui fait le jeu des alliés de l’Iran dans la région. Une initiative multidirectionnelle des capitales de décision s’est donc mise en branle pour éviter ce scénario, selon des sources diplomatiques, qui font état d’appréhensions sérieuses et profondes vis-à-vis d’une éventuelle vacance présidentielle. Le vide a fait l’objet de concertations entre le patriarche maronite et MM. Berry et Hariri. Le chef du courant du Futur en a également discuté avec M. Bassil à Paris et Mgr Raï avec le chef de l’État, Michel Sleiman, à Rome.
La hantise de la vacance est d’ailleurs au cœur de tous les contacts entrepris par le président Sleiman aux deux plans local et international, dans la perspective d’un succès de la présidentielle. D’autant que le vide pourrait, cette fois, remettre en jeu l’ensemble du système politique issu de Taëf, laminé par les crises successives. Ou du moins c’est ce que souhaite vivement le Hezbollah, dont l’objectif reste de pousser, par la pression chaotique du vide, vers une nouvelle Constituante et, ultimement, vers un nouvel équilibre des pouvoirs entre les communautés qui lui serait favorable – en l’occurrence une répartition par tiers sunnite-chiite-chrétiens en lieu et place de la parité islamo-chrétienne.
Le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, avait d’ailleurs ouvertement plaidé en faveur d’une Constituante pour une refonte du pouvoir, lorsque le patriarche Raï avait prôné la mise en place d’un nouveau pacte social entre les Libanais.
En cas de non-élection avant le 25 mai, la vacance présidentielle se prolongera des mois durant, au moins jusqu’en septembre, et la Chambre prorogerait de nouveau son mandat. D’où, une fois de plus, une volonté internationale de pousser au respect des échéances, non seulement la présidentielle, mais aussi les législatives, pour éviter au Liban de se retrouver happé dans la spirale des violations successives de la Constitution et des reports des échéances. Le risque étant que les législatives ne soient renvoyées… jusqu’en 2015. Au moins.
C’est dans cette perspective de salut général que s’ouvre ainsi la quête du candidat de consensus qui pourrait être agréé par toutes les parties, loin des faucons. Selon une source bien informée du 14 Mars, un diplomate d’une puissance occidentale majeure souligne à cet égard que son pays est attaché au respect des échéances constitutionnelles dans les délais et à la préservation de la stabilité politique, sécuritaire et économique du pays, même si le dossier libanais ne constitue pas actuellement une priorité sur la scène régionale. Ce diplomate souligne que son pays n’a pas de candidat à la présidence de la République, contrairement à ce que disent les rumeurs véhiculées par certains courants, et qu’il bénira tout consensus interlibanais qui se dégagera. Une dynamique diplomatique devrait ainsi se mettre en place, passé les législatives irakiennes, à la mi-mai, pour assurer des circonstances qui permettront à l’échéance présidentielle d’avoir lieu.