Le corps médical ne peut pas se mettre à dos l’opinion publique. Des bévues ont été commises dans le cas Ella Tannous, par la justice et par les autorités ordinales qui ont parfois agi plus en syndicat qu’en ordre professionnel.
Ceci est une mise au point personnelle, en ma qualité de professeur de déontologie médicale, non sur le fond du dossier que je ne connais pas, mais sur les principes de la plus noble des professions.
La médecine ne GUÉRIT pas, elle SOIGNE. Nous guérissons ceux qui se guérissent eux-mêmes.
1 – Tout acte médical est, par nature, un acte violent qui porte atteinte à l’intégrité physique et morale de la personne humaine. Soigner est toujours une intrusion violente dans l’ordre naturel. Pour soigner, le médecin passe son temps à « influencer » la volonté des gens ; à leur prescrire des substances « toxiques » ; à leur porter des « coups et blessures », sans intention d’homicide bien entendu. C’est ainsi que l’acte médical se définit « quant aux faits ».
2 – C’est pourquoi le permis d’exercer la médecine sur un territoire donné ne peut être délivré que par la puissance publique. Il s’agit, selon les traditions et d’après la loi, d’une « dépénalisation » de gestes, en principe relevant du code pénal; à condition d’être exercés par un individu remplissant toutes les conditions prévues par la loi.
3 – C’est pourquoi la médecine est dite « une profession protégée ». Elle est « protégée » contre les poursuites pénales dans les conditions de la loi.
4 – Le diplôme de docteur en médecine est insuffisant pour autoriser quelqu’un à soigner quelqu’un d’autre. Seul le permis des autorités sanitaires, suivi de l’inscription à l’ordre professionnel, autorise cela. La « profession protégée » signifie donc qu’elle est sous « surveillance » de la loi par les autorités ordinales qui sont mandatées pour cela au nom de la puissance publique.
5 – Le contrat médical passé entre le médecin et son patient ne soumet pas le praticien à l’obligation des résultats (guérir) mais uniquement à l’obligation des moyens (soigner). Le médecin ne s’engage jamais à guérir son malade mais, uniquement, à le soigner avec compétence, humanité et conscience. Dès lors, la notion même de « faute médicale professionnelle » est une insuffisance de moyens. Il s’agit d’une violation d’un contrat, et seule la justice civile est compétente en premier. Il appartient à la justice, et à la seule justice, d’estimer si l’insuffisance des moyens découle d’une intention ou d’une négligence criminelles, auquel cas l’affaire passe devant la justice pénale.
6 – Le corollaire de ceci, que tous les médecins ignorent, est que l’erreur de diagnostic, si tous les moyens ont été déployés, ne peut pas être considérée une faute médicale professionnelle (malpractice). Le contrat médical n’est pas synonyme d’un examen à la faculté de médecine ; et ce au nom de la liberté de prescription reconnue au médecin par la loi.
7 – Le décès du malade, dans le cadre d’un contrat médical respecté, ne suffit pas pour incriminer un médecin car rien n’est aussi naturel que de mourir de maladie.
Dans l’affaire de la petite Ella, les enjeux qui se posent sont multiples. Je ne connais pas les détails du dossier mais je donne un avis sur la forme afin d’aider à contenir les dangereuses dérives qui guettent la confiance qui doit régner entre le corps médical et la société.
Primo : Ne pas avoir identifié le streptocoque ß-hémolytique à l’hôpital de Byblos est-il une faute professionnelle ? Non, si tous les moyens pour y parvenir ont été déployés. Cette « erreur de diagnostic » engage-t-elle une responsabilité civile directe du médecin et de l’hôpital ? Non, si tous les moyens matériels ont été déployés ; oui, si tous les moyens matériels étaient insuffisants, auquel cas la responsabilité civile est assumée par l’hôpital.
Deuxio : le médecin de Byblos a lui-même demandé le transfert à l’AUB où la gangrène a commencé à apparaître. Un(e) chirurgien(ne) a procédé à l’amputation des 4 membres. Ici on ne voit pas comment un tel choix chirurgical serait une « faute professionnelle ».
Tertio : Certains pourraient invoquer l’article 27/alinéa11 de la loi de déontologie médicale 1994 révisée en 2012. Cet article interdit formellement l’acharnement thérapeutique. La quadruple amputation fut-elle un « acharnement thérapeutique » ou un « geste thérapeutique » ? Conserver la vie à tout prix est-il toujours une issue heureuse dans certains cas exceptionnels ? Ce sont là des questions dérangeantes mais fondamentales qui se posent en termes de conscience morale. Peut-on reprocher au chirurgien d’avoir amputé ? La question n’est pas technique ni juridique, mais humainement morale.
Cette triste affaire montre les insuffisances et les lacunes du système libanais.
a) La justice fait assumer la responsabilité civile aux 2 établissements hospitaliers et aux 2 médecins. Fût-il excessif, ceci relève aujourd’hui de la force de la chose jugée.
b) La loi libanaise comporte une importante lacune, celle de ce qu’on appelle « la responsabilité de solidarité sociale ». La maladie étant une condition naturelle et la médecine une profession protégée, il est tout aussi naturel qu’il puisse exister des circonstances où le préjudice physique ou moral, ainsi que les dommages, ne résultent pas nécessairement et directement d’une violation du contrat médical mais de circonstances contingentes que nul ne peut contrôler. À ce moment, la société compense et dédommage par des indemnités conséquentes. La loi française a été innovante en la matière. Telle aurait été l’issue honorable à trouver à cette tragédie.
c) La « solidarité sociale », fût-elle non existante au Liban, reste un chapitre qu’abordent les leçons de déontologie médicale à la faculté de médecine de l’USJ.
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