Les djihadistes, qui mènent une offensive depuis jeudi seraient entrés dans la ville, Damas envoie des renforts
Comme un mauvais parfum de déjà-vu, l’organisation Etat islamique est de retour à Palmyre. En passe de perdre son bastion d’Al-Bab, dans le nord de la Syrie, qui commence à être investi par des forces turques et des rebelles syriens, attaquée à Mossoul et menacée à Rakka, ses deux « capitales » irako-syriennes, l’organisation djihadiste a lancé, ces trois derniers jours, une offensive sans précédent contre la ville de Palmyre, dans l’est de la Syrie, et les champs d’hydrocarbures environnants.
Au terme d’une offensive déclenchée il y a trois jours par l’EI, les combats ont gagné les quartiers de la ville samedi 10 décembre, où la plus grande confusion semble régner. Selon des journalistes progouvernementaux, l’armée syrienne évacuerait la ville et la dernière ligne de défense, formée par des membres de la milice territoriale et des des services de renseignement, se battrait en infériorité numérique. L’armée a fait exploser le principal dépôt d’armes de la ville avant de se retirer, selon l’EI. Le groupe mènerait des vagues d’arrestations dans certains quartiers où il est entrée, selon des opposants locaux au régime et aux djihadistes.
Des informations démenties par officier syrien au média russe Russia Today, affirmant que « l’armée mène des batailles très violentes sur les abords de la ville ».
Coup d’éclat, diversion ou stratégie de reconquête ? L’organisation djihadiste, montre en tout cas, qu’elle est encore capable de lancer des attaques planifiées et, surtout, de faire parler d’elle.
Attaquant depuis jeudi 8 décembre l’armée syrienne et les Forces de défense nationale, une milice progouvernementale, l’EI évoluait depuis vendredi à moins de 5 km de l’entrée sud-ouest de la ville. Quatre-vingt-cinq soldats et miliciens syriens auraient été tués, selon des sources hospitalières, et un nombre inconnu manquait à l’appel. L’EI a de son côté filmé quatre prisonniers.
Les médias progouvernementaux s’accordaint, eux, sur une même phrase pour décrire les dernières heures : « La situation est sérieuse. »
Attaque d’une douzaine de positions gouvernementales
L’EI avait occupé la ville de Palmyre en mai 2015 avant d’en être chassé par les forces gouvernementales appuyées par la Russie, en mars 2016. Les djihadistes avaient entre-temps provoqué d’importants dégâts dans la cité antique, classée au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, dynamitant notamment plusieurs temples, dont ceux de Bêl et de Baalshamin, deux joyaux de la ville.
L’organisation djihadiste n’a jamais cessé de maintenir une présence dans la région de Palmyre en harcelant régulièrement les troupes gouvernementales dans un périmètre de 15 km à 20 km à l’est de la ville.
L’attaque de ces deux jours est néanmoins inédite : les colonnes de l’EI ont attaqué simultanément une douzaine de positions gouvernementales dont les plus espacées sont éloignées l’une de l’autre de près de 70 kilomètres.
Autour de Palmyre et à l’est de la ville d’Homs, siège du gouvernorat dont la cité antique fait partie, le mouvement djihadiste profite de la présence dans la région d’Alep des meilleures unités gouvernementales, dont la force Tigre et les Faucons du désert, qui jouent habituellement les pompiers dans le gouvernorat d’Homs dès lors qu’il s’agit de repousser les incursions djihadistes.
Quant aux forces régulières et à la milice des Forces de défense nationale restées sur place, elles pâtissent de leur incapacité chronique à sécuriser, faute d’effectifs suffisants, les vastes espaces du Grand Est syrien.
A 250 km de Palmyre, l’EI est également solidement implanté dans et autour de la ville de Deir ez-Zor, où il assiège 80 000 habitants pris au piège depuis juillet 2014 dans une enclave contrôlée par Damas. Une zone d’où il peut acheminer des renforts, et où seraient arrivés ces derniers temps des militants en provenance d’autres régions où il perd du terrain.
« Avec la perte de ses autres bastions, Deir ez-Zor est l’option de repli naturel des forces de l’Etat islamique », estime le colonel John Dorrian, porte-parole installé à Bagdad de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis.
Située entre les villes d’Homs et de Palmyre, la base aérienne de Tiyas est également menacée. Une cible évidente. C’est de cette base que décollent les hélicoptères russes et les avions syriens qui soutiennent les troupes gouvernementales dans l’est du gouvernorat d’Homs. Un Mig 23 gouvernemental s’est écrasé peu après en avoir décollé, samedi 10 décembre, officiellement « à la suite d’un incident technique ». L’EI affirme l’avoir abattu.
La production d’hydrocarbures prioritairement visée
C’est près de cette base que passe la route qui relie Homs à Palmyre, longeant une importante installation gazière, qui semble être tombée aux mains des djihadistes.
Outre celui de la région de Tiyas, plusieurs sites gaziers et pétroliers de cette région riche en hydrocarbures ont été occupés, affirme l’EI, dont le champ de Maher, où un important convoi de renforts gouvernementaux a été repoussé, victime d’une embuscade.
La prise de l’« ensemble des champs de la région », a été confirmée par le site d’opposition Palmyra Monitor, qui estime que l’EI a mis la main sur une capacité de production théorique de 10 000 barils de pétrole par jour. Ces champs sont en outre les derniers à être exploités par le régime.
Ces installations semblent l’un des objectifs, si ce n’est le premier, de cette offensive d’envergure, qui a de toute évidence été planifiée. Une flotte de camions-citernes est en effet arrivée dans les bagages des commandos de l’EI, dont un nombre inédit a été pris pour cible par les avions de la coalition internationale dans la nuit du 8 au 9 décembre.
« Dans le plus important raid aérien de ce type jamais effectué, la coalition a détruit 168 camions-citernes de l’EI près de Palmyre », a déclaré, le 9 décembre au soir, le porte-parole de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis.
Autre risque, côté gouvernemental, celui du sabotage des installations par l’EI s’il ne peut s’y maintenir. En mai 2016, il avait fait exploser plusieurs stations de pompage du champ d’Al-Chaer, l’un des plus importants du pays, avant de se retirer.
Le 10 décembre, un convoi du Hezbollah était en formation en vue d’être envoyé en renfort depuis sa principale base syrienne, Qusair, à la frontière libano-syrienne, selon des journalistes proches du régime.
Un commandant du groupe rebelle Jaïch Al-Moudjahidine, installé dans la région rurale d’Alep, a annoncé, de son côté, que des troupes gouvernementales participant à l’offensive dans cette ville sur le point d’être totalement reprise par les forces gouvernementales avaient été redéployées vers Palmyre.
- Madjid Zerrouky
Journaliste au Monde