C’est l’un des enjeux peu connus des négociations nucléaires de Vienne entre les grandes puissances et Téhéran, représentée par Ali-Bagheri Kani, négociateur en chef iranien : le déblocage des milliards de dollars iraniens gelés aux quatre coins de la planète. Frappé par des sanctions économiques américaines qui empêchent la République islamique d’exporter son pétrole et assèchent les caisses de l’État, Téhéran se bat pour en récupérer le plus possible.
Alors que les négociations ont repris lundi sur un retour dans l’accord nucléaire de 2015, l’Iran, puissance chiite du Moyen-Orient, vient de se féliciter d’une condamnation de Bahreïn à verser plus de 200 millions d’euros de compensation à deux banques iraniennes expropriées de ce minuscule royaume du golfe Persique, protégé de l’Arabie saoudite, l’ennemi de l’Iran.
La décision a été prise le 9 novembre par la Cour permanente d’arbitrage, une organisation intergouvernementale siégeant à La Haye à laquelle s’étaient adressées les deux banques étatiques iraniennes, Bank Melli et la Bank Saderat, après leur expropriation en 2015.
« C’est une décision très importante pour l’Iran, déclare au Figaro Me Hamid Gharavi, l’avocat des deux banques. Le tribunal, de manière unanime, a déclaré qu’il s’agissait d’une violation du droit international et que les motifs avancés par Bahreïn pour justifier cette expropriation étaient prétextuels et revêtaient un caractère politique ».
L’affaire avait éclaté après l’accord international sur le nucléaire signé en 2015, auquel Bahreïn et l’Arabie saoudite s’étaient vivement opposés. Dix ans plus tôt, au terme d’accords signés entre l’Iran et Bahreïn, une banque d’investissements commune dénommée Future Bank avait été créée entre Melli, Saderat et la banque bahreïnie Ahli United Bank. Mais après l’accord de 2015, le royaume de Bahreïn, peuplé d’une majorité de chiites mais dirigé par un pouvoir sunnite, avait exproprié tous les investissements iraniens sur son territoire.
Cette décision de justice devrait aider l’Iran à récupérer d’autres avoirs gelés à Bahreïn, notamment ceux de la banque centrale iranienne. Au total, à Bahreïn, ces avoirs s’élèveraient à environ 2 milliards de dollars.
« Ce jugement est une carte supplémentaire entre les mains des négociateurs iraniens à Vienne afin de récupérer leurs avoirs », estime un homme d’affaires du Golfe, familier de l’Iran, qui espère que la décision fera jurisprudence.
Pékin peu généreux
À combien ces avoirs immobilisés se montent-ils ? Environ 35 milliards de dollars, selon nos calculs. Il y a d’abord 9 milliards gelés en Corée du Sud. Après avoir tenté de faire pression sur Séoul en arraisonnant en janvier un pétrolier sud-coréen, l’Iran pensait que Séoul allait en débloquer une partie. Mais les États-Unis s’y sont fermement opposés. Après le récent jugement du tribunal de La Haye, Téhéran compte envoyer une lettre de mise en demeure pour réclamer de Séoul une indemnisation.
De leur côté, selon les estimations de l’homme d’affaires précité, « le Japon et plusieurs pays européens détiennent 3 à 4 milliards d’avoirs iraniens ». Mais c’est en Chine, pourtant allié de l’Iran dans son bras de fer avec l’Occident sur le nucléaire, et marginalement en Inde, que les avoirs iraniens les plus importants restent confisqués. Enfin, pas tout à fait : il s’agit plutôt de retards de paiement sur les exportations de pétrole iranien à Pékin et New Delhi.
« Pour l’Iran, la difficulté essentielle est avec la Chine », assure l’homme d’affaires, qui décrit les ressorts de la confiscation de l’argent iranien : « Depuis un an, pour ne pas trop déplaire aux États-Unis, la moitié seulement des enlèvements de pétrole iranien vers ces deux pays sont payés à Téhéran. Et encore, Pékin y consent en passant par une banque à Hongkong qui prélève sa dîme, les Chinois compliquant encore la vie des Iraniens en leur demandant de convertir le plus possible le pétrole qu’ils vendent en achat de produits chinois. Bref, les Chinois profitent de la situation pour s’en mettre plein les poches. »
Relancer l’économie
Pour l’Iran, le manque à gagner est considérable : sur le 1,2 million de barils de pétrole exportés chaque jour en Chine et marginalement en Inde, les Iraniens n’en touchent grosso modo que 650 000 en cash, payés de manière régulière. Montant du manque à gagner en un an : environ 11 milliards de dollars avec Pékin, auquel s’ajoutent 10 autres milliards d’achat de pétrole iranien que les Chinois n’avaient pas payé pendant l’ère Trump, soit donc une vingtaine de milliards de dollars, côté chinois.
Récupérer cette importante somme d’argent est une priorité iranienne dans les négociations de Vienne. En cas d’échec, Téhéran n’ignore pas que les États-Unis vont encore durcir les sanctions contre la République islamique, qui a un besoin urgent de retrouver un niveau élevé d’exportations de pétrole (aux environs de 2,4 millions de barils par jour) pour relancer son économie.
« Actuellement, remarque l’homme d’affaires, les États-Unis sont extrêmement vigilants sur les exportations de brut iranien, car une partie revient directement dans les caisses du guide suprême, Ali Khamenei, partisan d’une grande fermeté envers l’Occident. En revanche, ils sont plus coulants sur les exportations de produits pétroliers ou métaux vers le Pakistan, l’Afghanistan, et un peu l’Afrique via Dubaï. »