Réunis ce mardi à Rome, les pays occidentaux planchent sur des scénarios d’intervention militaire pour contrer l’EI.
Une intervention internationale contre Daech en Libye bute toujours sur la mise sur pied d’un gouvernement d’union nationale, ce qui n’empêche pas la France de préparer des plans de campagne militaire. Jean-Yves Le Drian a rappelé dimanche l’«urgence» de voir aboutir le processus politique en cours sous supervision des Nations unies. «Il y aurait un gouvernement libyen qui nous le demanderait», a souligné le ministre de la Défense, en alertant notamment sur le «risque majeur» de voir des djihadistes parvenir en Europe depuis les côtes libyennes en se mélangeant à des réfugiés.
Un mandat pour intervenir, résultant de l’installation d’un gouvernement légitime en Libye, n’est pas du pur formalisme: il offrirait un cadre juridique aux pays, européens notamment, qui, sans cela, rechigneraient à intervenir ; il faciliterait l’appui des pays voisins et éviterait, théoriquement, de se placer sous la coupe de telle ou telle faction. Mais, hormis l’appel d’un gouvernement libyen unifié, deux autres événements pourraient être déclencheurs d’une intervention. Primo, une avancée des forces de l’État islamique (EI) qui leur permettrait, depuis leur fief de Syrte, d’étendre significativement leur territoire, sur la côte, vers l’Est pétrolier, ou le grand Sud. Secundo, un attentat terroriste majeur sur le sol européen, dont il serait avéré qu’il résulte d’une filière libyenne. Aucune de ces perspectives n’est malheureusement à écarter.
Contenir l’avancée djihadiste
À Paris, les plans qui s’échafaudent reposent sur certaines données jugées «structurantes» et prennent en compte une équation libyenne singulièrement complexe. En «off», les perspectives d’un accord politique sont considérées comme précaires à ce stade. Même en cas d’accord, l’installation d’un gouvernement libyen ne sera pas évidente. Par ailleurs, les combattants de Daech, évalués à 5000 hommes, sont parvenus à constituer une masse critique hors de portée des forces locales. Enfin, il est patent qu’aucune des planifications ou missions de natures diverses élaborées jusqu’à présent n’a pu répondre efficacement à la problématique de Daech, qui «niche» et étend ses «métastases» dans les zones de fragilité.
Tout en continuant à espérer un accord politique, la stratégie française passe par la mise en place de lignes de défense régionales pour contenir l’avancée djihadiste: fort soutien sécuritaire à la Tunisie, appui à l’Égypte, déploiement de l’opération militaire «Barkhane» et coopération avec le Niger et le Tchad pour éviter les débordements sur le Sahel. Des angles morts demeurent néanmoins: l’Algérie reste circonspecte, l’Égypte s’inquiète avant tout du Sinaï, la frontière du Soudan pose problème… Volet majeur, le déploiement, jugé indispensable, d’une ligne de défense maritime pour appliquer un embargo. Peu efficaces, les missions des bateaux, actuellement sous drapeau européen notamment, doivent être revues. Une dizaine de ces navires seraient nécessaires pour espérer un contrôle des côtes libyennes.
Parallèlement à ces efforts, l’option d’un «confinement militaire au plus près» est envisagée. Sur le plan technique, une telle opération contre Daech sur le terrain – lequel est relativement plat – ne présente pas de difficultés majeures, rien à voir en tout cas avec les vallées afghanes ou les massifs du nord du Mali. En théorie, frappes aériennes, infanterie et artillerie devraient combiner efficacement leurs effets, dans le cadre d’un engagement d’envergure moyenne. «Il s’agirait d’une campagne plus light qu’au Levant», estime un bon observateur. Une assistance aux forces libyennes devra être mise en œuvre et il n’est pas exclu que la coalition anti-Daech ait aussi à «donner des coups de main», pour protéger certains points stratégiques (des aéroports, la Banque centrale…). Un scénario consisterait à utiliser des Forces spéciales occidentales épaulant des unités libyennes, comme celles des katibas de Misrata, lesquelles feraient le gros du travail au sol.
Bottes américaineset britanniques au sol
En dépit de leurs déclarations alarmistes, voire martiales, les Occidentaux hésitent à intervenir. Le terrain est observé depuis le ciel, des «bottes américaines et britanniques» seraient même au sol. «Mais jusqu’à présent, on bricole», lâche un expert. Vu de Paris, la détermination affichée par l’Italie, pays aux premières loges, est jugée plus sonore que réelle. Le cas échéant, Rome – mais aussi d’autres Européens – demanderont à «otaniser» une intervention militaire, ce qui fait grincer des dents à Paris. Côté américain, anticipe-t-on aussi, un engagement se limiterait à la dimension antiterroriste, la priorité des priorités étant pour Barack Obama la chute de Mossoul, en Irak.
Rien n’est formellement arrêté. Préparations diplomatiques et militaires se poursuivent. Quand interviendrait-on? La France, comme ses alliés occidentaux, attend officiellement le feu vert d’une autorité libyenne légitime. Comment? Cet aspect n’est pas le plus préoccupant. Pour quoi faire? Telle est la question principale. Il s’agit certes de contrer un «Daechland» en Libye. Mais cette bataille doit aussi s’inscrire dans le panorama beaucoup plus global d’une guerre mondialisée d’un genre nouveau.