Il faut être de mauvaise foi pour ne pas pousser un soupir de soulagement à la vue du gouvernement dont le Liban vient de se doter avec, en prime, quatre femmes au sein de cette équipe. C’est déjà un grand pas, bien qu’on ait aimé voir un plus grand nombre de figures féminines. La femme libanaise a prouvé dans plus d’un domaine sa compétence et ses capacités à assumer de lourdes responsabilités dans la recherche du bien commun.
On notera que le Premier ministre Saad Hariri a eu la délicatesse de présenter ses excuses au peuple libanais pour les près de neuf mois d’inutile et pénible crise gouvernementale après qu’un scrutin législatif, selon une loi électorale scélérate, eut enfoncé encore plus le système libanais dans l’enfer du sectarisme confessionnel et de son corollaire, le clanisme tribal.
Mais, enfin, le Liban a un gouvernement et c’est tant mieux. On peut se féliciter de revoir certaines figures comme Mme Raya Haffar el-Hassan à l’Intérieur ou d’accueillir, avec joie, l’entrée de Mme May Chidiac, symbole vivant du martyre que le peuple libanais subit depuis des décennies pour sa liberté, son indépendance et sa souveraineté.
Mais un gouvernement est l’expression politique d’un certain équilibre dans le rapport des forces qui, actuellement, penche nettement en faveur du Hezbollah et reflète l’hégémonie milicienne armée de la République islamique d’Iran, qui célèbre son 40e anniversaire, pour le plus grand malheur des peuples du Levant arabe. Se réjouir de l’existence d’un gouvernement à Beyrouth ne signifie pas accepter le fait accompli de l’hégémonie étrangère.
Quoi qu’il en soit, on se doit de demeurer vigilant et de surveiller étroitement la nouvelle équipe ministérielle qui se trouve devant une mission quasi insurmontable, ne serait-ce que sur le plan économique et financier ; sans parler de la corruption endémique voire institutionnelle ; de l’état lamentable des services publics et des infrastructures. Et, last but not least, ne pas oublier l’épineuse question de la souveraineté et de la soumission à la seule règle du droit et non au consensus politique qui en fait fi. De plus, l’opinion publique doit demander des comptes aux responsables du blocage des institutions qui a empêché la naissance du gouvernement de Saad Hariri pendant 9 mois. Aucune amnésie ne doit être tolérée en la matière.
L’existence de cette équipe rassure apparemment le marché des obligations libanaises et fait reculer, à court terme, l’épouvantable spectre d’une restructuration possible de la dette publique dont 80 % consiste en emprunts auprès des banques privées du Liban. En d’autres termes, l’argent des épargnants privés a alimenté durant des années les caisses d’un État miné par la corruption. Cet État pourrait-il rembourser ses créances ? Pourrait-il épargner aux Libanais le sort peu enviable qu’ont connu les Grecs ? Saad Hariri a-t-il une marge de manœuvre suffisante pour faire ce que le grec Tsipras a fait ? Le scandale d’EDL et de bien d’autres organismes du secteur public seront-ils résolus ? Le pouvoir politique est-il en mesure de lutter contre la corruption généralisée ? Il est permis de ne pas répondre à cette dernière question.
Refaire l’État libanais après une entreprise de morcellement et de destruction systématique par les forces de facto, depuis 2005 ? Est-ce encore possible et comment ? Peut-on demander à cette équipe ministérielle et aux forces contradictoires qui la composent de mettre en chantier l’application stricte des accords de Taëf et le respect scrupuleux de la déclaration de Baabda ?
Peut-on exiger de cette équipe la restauration de la souveraineté nationale par l’application des résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité, ainsi que par le biais d’une politique de distanciation à l’égard des positionnements stratégiques régionaux ? En bref, peut-on attendre d’une telle équipe que la politique de défense et la politique étrangère soient strictement libanaises ? À l’heure actuelle, de tels souhaits sont de l’ordre du mirage sauf si, par miracle, l’équipe de Monsieur Hariri parvient à susciter un éveil national qui demanderait à la communauté internationale que le Liban bénéficie d’un régime de neutralité. Seule cette dernière permettrait de rassurer les communautés libanaises rivales, et leur faciliterait de surmonter la peur de l’autre et de renoncer à leur volonté de puissance qui prend en otage l’État pour le compte d’intérêts étrangers.
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