La biologiste marine Bella Galil regrette que l’Egypte n’ait pas réalisé d’études d’impact sur l’environnement avant de lancer ces travaux.
A l’occasion de l’inauguration ce jeudi du nouveau canal de Suez, élargi et prolongé, la biologiste marine israélienne Bella Galil s’inquiète de ses conséquences pour la mer Méditerranée.
Quel impact la construction du nouveau canal de Suez peut-elle avoir sur l’écosystème de la mer Rouge et de la Méditerranée ?
L’expansion du canal de Suez a des effets négatifs sur la diversité biologique de la mer Méditerranée, à la fois aux niveaux local et régional, ce qui peut être un frein aussi pour les activités développées autour de cette mer. La principale préoccupation concerne la possibilité que ce nouveau canal facilite l’introduction d’espèces en provenance de la mer Rouge, chaude, dans la mer Méditerranée, à l’origine froide. A ce jour, 444 espèces, dont des invertébrés et des poissons ont pu atteindre la mer Méditerranée via le Canal de Suez. 89 d’entre elles ont été localisées dans pas moins de cinq pays.
En quoi est-ce un problème ?
Certaines de ces espèces peuvent être très dangereuses. C’est le cas d’une méduse appelée Rhopilema nomadica, découverte au début des années 80. Chaque été, on retrouve d’énormes bancs de méduses le long de la côte du Levant, ce qui représente un risque pour la santé humaine mais aussi pour la pêche et le tourisme. Autre exemple, celui du Lagocephalus sceleratus, poisson-ballon à bandes argentées, introduit par le biais du canal dans l’est de la Méditerranée en 2003, et qui est désormais présent de la mer Noire à l’Espagne. Les espèces les plus récentes ont été repérées bien à l’ouest du canal, au large de la France et de la Tunisie.
Quelles précautions a prises l’Egypte ?
Il faut souligner tout d’abord qu’un projet de cette amplitude, qui comporte de tels risques potentiels pour l’environnement, nécessite la mise en place d’une évaluation des répercussions environnementales (Environmental Impact Assessment, EIA). Un processus formel, validé par des scientifiques, qui identifie les éventuels effets défavorables sur l’environnement. A notre connaissance, aucune évaluation de ce type pour l’écosystème méditerranéen n’a été réalisée par l’Egypte. Beaucoup reconnaissent l’importance économique du canal de Suez et la nécessité de son élargissement. Mais nous sommes préoccupés par le manque d’attention de l’Egypte sur les accords environnementaux internationaux et par sa négligence des pratiques durables, qui vont exacerber la nocivité des impacts sur l’environnement.
Y a-t-il des solutions ?
Des possibilités existent pour tenter d’atténuer les effets nocifs induits par la construction du nouveau canal. Des solutions peu coûteuses pour empêcher, ou tout au moins minimiser, les dommages écologiques portés à l’environnement peuvent être discutées. Il s’agit notamment de l’installation de barrières anti-salinité, comme au canal de Panama, empêchant toute invasion d’origine marine.
Mahmoud Hanafi, docteur à la faculté des sciences du Caire, affirme que c’est le réchauffement climatique qui a causé le déplacement des espèces entre la mer Rouge et la Méditerranée. Qu’en pensez-vous ?
Puisque l’introduction des espèces à travers le canal de Suez a commencé avant le réchauffement lié à l’ère industrielle, l’argument du Dr Hanafi n’est pas fondé. Ce qui est vrai en revanche, c’est que l’installation et la circulation des espèces en Méditerranée ont été facilitées par le réchauffement des eaux. Mais c’est un phénomène très récent, qui va empirer l’état de la Méditerranée.
Le premier canal a-t-il eu un impact négatif sur l’environnement ?
Parmi les 750 espèces non autochtones enregistrées en mer Méditerranée, on peut affirmer que près de 450 sont entrées par le canal de Suez. L’élargissement du canal permettra à de nouveaux groupes d’espèces tropicales invasives de s’introduire en mer Méditerranée. Une moule de la mer Rouge, la Brachidontes pharaonis, qui a été enregistrée en mer Méditerranée quelques années seulement après l’ouverture du canal de Suez, était au début des années 70 jusqu’à 250 fois plus rare que la moule native de la Méditerranée, la Mytilid mytilaster minimus. Celle-ci formait des bancs de moules denses sur les côtes israéliennes. Ces mêmes rochers sont aujourd’hui entièrement couverts par la moule envahissante, venue de mer Rouge. Cette dernière s’est propagée dans le sud de l’Italie, où l’on constate de vastes populations (plus de 25 000 spécimens au mètre carré) ainsi qu’au large de la Corse et jusqu’en France.