إستماع
Getting your Trinity Audio player ready...
|
La province, fief d’une minorité qui compte pour 3 % de la population syrienne, a été relativement préservée de la guerre qui a ravagé le pays. Aujourd’hui, les habitants attendent de se faire une idée de la « véritable nature » du nouveau pouvoir de Damas, dominé par les islamistes de HTC.
Portant toge noire et toque blanche, des chefs religieux défilent solennellement devant l’imposante demeure de la plus haute autorité des Druzes de Syrie. Le cheikh Hikmat Al-Hijri habite une maison perchée sur la colline de Qanaouat, à quelques encablures de la ville de Souweïda, fief de cette minorité religieuse qui pratique un culte ésotérique dérivé de l’islam chiite et représente près de 3 % de la population syrienne. Trois semaines après la chute de Bachar Al-Assad, c’est un ballet ininterrompu de voitures aux vitres teintées, de chefs de clan et de représentants de faction armée, qui s’ébroue sous ses fenêtres.
Dans la cour, l’heure est à la célébration. Des hommes dansent en ronde au rythme des jawfiyya, des chants guerriers, brandissant le drapeau des « cinq frontières », étendard de cette communauté qui s’étend sur la Syrie, le Liban, la Jordanie et Israël. A l’intérieur, les délégations sont reçues dans les madafah (salles de réception) du cheikh, devenues des salons très politiques. A la suite de l’effondrement du régime syrien et de ses institutions, accaparées pendant des décennies par le puissant parti Baas, c’est ici que se discute en partie l’avenir de la région de Souweïda.
« Cette période est cruciale. Elle doit réunir tous les Syriens pour construire un Etat de toutes les couleurs, respectant toutes ses communautés », déclare le cheikh Hikmat Al-Hijri, âgé de 69 ans, qui assure être en relation quotidienne avec tous les acteurs de la transition. « Maintenant que le régime est tombé, il y a un vide, tout est à repenser. Nous appartenons à la Syrie et à sa terre, mais nous souhaitons l’avènement d’un Etat décentralisé et civil, c’est la seule solution », explique le chef religieux à la longue barbe blanche. Sous la surveillance étroite de soldats encagoulés, il a reçu, le 25 décembre 2024, une délégation venue de Damas, menée par Machour Al-Masalmeh, conseiller politique de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC, groupe islamiste dont le chef, Ahmed Al-Charaa, est le nouvel homme fort de la Syrie) pour les régions du Sud, afin d’évoquer la gouvernance de la province.
Un statut particulier
« Nous avons ici des cadres très bien formés qui sont en mesure d’administrer la région », assure le cheikh, soucieux que Souweïda conserve les coudées franches face au pouvoir naissant. « Nous donnons leur chance aux nouvelles autorités. Leurs paroles sont bonnes, mais nous attendons les actes. Pour le moment, le gouvernement provisoire n’a pas de légitimité populaire. Pendant ces trois mois, il doit assurer les affaires courantes, ensuite, nous devrons être partie prenante pour la prochaine phase de transition et l’adoption d’une nouvelle Constitution », avertit le cheikh Al-Hijri, qui appelle la communauté internationale à se porter garante d’un « processus inclusif ».
A une centaine de kilomètres au sud de Damas, nichée dans des montagnes parsemées de pommiers et de vignes, la province de Souweïda a été relativement préservée de la guerre qui a ravagé le reste du pays sous le règne de Bachar Al-Assad. Jouissant d’un statut particulier, entre autonomie et marginalisation, la région a vécu presque refermée sur elle-même. Dès 2011, les premières manifestations qui y éclatent sont rapidement étouffées par le régime qui s’appuie sur certaines autorités locales loyalistes. A l’instar de certains officiers qui ont été parmi les premiers à déserter l’armée du régime et d’autres qui lui sont restés fidèles jusqu’au bout, la communauté druze s’est divisée face à la révolution.
……………………..
……………………….
Des « mécanismes de division sectaire »
Fin 2024, alors que le pouvoir d’Al-Assad faiblit, ces factions armées de Souweïda prennent langue avec une coalition de groupes rebelles du sud de la Syrie, se préparant à un potentiel changement de régime à Damas. « On s’est coordonnés en secret. Une fois la ville d’Alep tombée, nous avons formé la Chambre des opérations du Sud, puis, le 7 décembre, nous avons libéré notre région pendant que nos alliés marchaient sur la capitale », détaille Chakib Azzam, commandant en chef de Liwa Al-Jabal, la « brigade de la montagne », qui revendique 7 000 combattants.
Dans leur quartier général du centre-ville, gardé par des pick-up surmontés de mitrailleuses lourdes, ces combattants druzes, ainsi que d’autres factions de la province, comme la puissante « brigade des hommes de la dignité », refusent pour le moment de plier le genou face aux nouvelles autorités. A Damas, Ahmed Al-Charaa avait pourtant annoncé, le 24 décembre 2024, un accord en vue de l’intégration de tous les groupes armés sous un commandement unifié dépendant du ministère de la défense. Les Druzes de Souweïda, tout comme les Kurdes dans le nord-est du pays, font pour le moment exception.
« On ne sait pas encore quelle est la véritable nature de ce nouveau pouvoir. On se méfie. Ils ont une longue histoire de radicalité », poursuit Chakib Azzam, qui rappelle que la région a connu les coups de boutoir du Front Al-Nosra et, surtout, de l’organisation Etat islamique, en 2018. « En tant que minorité, nous sommes un cas particulier. On ne déposera pas les armes pour le moment. C’est notre ligne rouge. On ne les rendra qu’à long terme, si on considère que l’Etat est en mesure de bien gouverner les Syriens », affirme le commandant. Premier signe de tension, le 1er janvier, des factions druzes ont interdit l’accès de la province à un convoi de véhicules de la police, envoyé de Damas par le gouvernement. Si les autorités locales assurent que l’incident est dû à un « manque de coordination », d’autres y voient les prémices d’une fronde.
A Souweïda, comme dans le reste du pays, les autorités de transition n’ont pris contact qu’avec les chefs traditionnels. « Il est nécessaire qu’elles s’adressent aussi à la société civile, pas juste aux groupes armés et aux élites religieuses », dénonce Bachar Soureiwy, membre du Mouvement politique de la jeunesse à Souweïda. « Ces mécanismes de division sectaires, instaurés par le régime destitué, doivent cesser d’exister. Nous militons pour que toutes les factions rendent leurs armes. Il faut reconstruire une armée nationale. Nous refusons l’idée de fédéralisme, de division du pays. Nous devons poser les bases d’un nouvel Etat, fondé sur la citoyenneté, pas sur les communautés », poursuit le trentenaire, doctorant en sciences sociales.
Pour une « Syrie libre, unie, civile et démocratique »
Dans les rues de la ville, la société civile est en effervescence. Depuis août 2023, la place de la Dignité, dans le centre-ville, était devenue un haut lieu de la contestation antirégime. D’abord motivées par la dégradation des conditions économiques, les manifestations avaient rapidement pris une tournure politique, réclamant la chute du régime. Désormais, la jeune génération militante de la province entend bien continuer à faire entendre sa voix, en se rassemblant chaque semaine sur la place.
……………….
………………..