Le verdict du procès Hariri laisse des zones d’ombre

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A La Haye, le Tribunal condamne un membre du Hezbollah en blanchissant la direction du parti chiite

 

 

LA HAYE, BEYROUTH- correspondance

Quinze ans après l’attentat perpétré contre l’ancien premier ministre Rafic Hariri au cœur de Beyrouth, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) aura livré un coupable, trois acquittés et une « vérité judiciaire » empreinte de zones d’ombre.

Lors du verdict prononcé mardi 18 août, les juges du TSL ont condamné Salim Ayyash, qui était le chef de l’opération. Il a été reconnu coupable d’acte terroriste et d’homicide volontaire avec préméditation contre Rafic Hariri, d’homicide volontaire contre les vingt et une autres personnes décédées lors de l’attaque et de tentative d’homicide pour les 226 blessés.

Ils ont acquitté Hussein Oneissi, Hassan Merhi et Assad Sabra, jugés in absentia comme Salim Ayyash, faute de preuves suffisantes. Dans l’attentat du 14 février 2005, les trois hommes n’avaient qu’un rôle subalterne, lié à une fausse revendication diffusée quelques heures après l’explosion et destinée à « brouiller les pistes ».

Qui est le kamikaze ? D’où viennent les 2 tonnes d’explosifs ? Combien de personnes ont participé au complot ? Qui sont les commanditaires ? Le tribunal n’aura livré que quelques fragments d’une « mosaïque » incomplète.

Si Salim Ayyash était membre du Hezbollah, comme Moustafa Badreddine, cadre militaire du parti-milice tué en mai 2016 en Syrie, décrit par les enquêteurs comme le « cerveau » de l’attentat et dont les juges ont reconnu l’implication, « rien dans le dossier des preuves n’indique que la direction du Hezbollah ait été impliquée de quelque manière que ce soit dans l’assassinat de M. Hariri », ont affirmé les juges.

Ils estiment même que le milliardaire sunnite entretenait « de bonnes relations » avec les responsables du Hezbollah. Rafic Hariri, qui voulait séduire le parti chiite en vue des législatives à venir, aurait évité au Hezbollah une inscription sur la liste européenne des organisations terroristes, grâce à ses liens avec l’ancien président français Jacques Chirac.

Si l’affiliation du coupable est l’un des rares éléments impliquant le Hezbollah, les juges estiment qu’il « n’y a pas de preuve directe de l’implication de la Syrie », mais un contexte pointant vers Damas. Pour la chambre de première instance, il était « hautement probable » que la décision de l’assassinat serait exécutée si Rafic Hariri « continuait (…) à s’écarter politiquement de la Syrie ».« Hautement probable » aussi, disent les magistrats, que le feu vert n’ait été donné qu’après le 2 février 2005, date d’une réunion du « groupe du Bristol », réunissant les alliés politiques d’Hariri, demandant le retrait immédiat des forces syriennes présentes au Liban depuis 1976.

« La vraie justice a prévalu »

La veille, Rafic Hariri rencontrait le vice-ministre syrien des affaires étrangères, Walid Al-Moallem. Selon l’enregistrement de la rencontre, fourni aux enquêteurs par le ministre syrien, Rafic Hariri dit alors qu’il ne peut « plus supporter de recevoir des ordres de la Syrie ». Pour les juges, ces deux éléments dessinent une motivation. Damas est désigné à demi-mot. Mais le nom des commanditaires reste inconnu.

Dès la fin de l’audience au siège du tribunal aux Pays-Bas, Saad Hariri, le fils de Rafic, a salué le verdict. « Pour la première fois dans l’histoire des nombreux assassinats politiques dont le Liban a été témoin, les Libanais connaissent la vérité et, pour la première fois, la vraie justice a prévalu », a déclaré celui qui figure en bonne place pour prendre la tête du prochain gouvernement. Saad Hariri aura besoin de l’appui du camp du Hezbollah au Parlement pour être nommé, relèvent certains observateurs, expliquant ainsi sa réaction plutôt modérée. « Les Libanais n’accepteront plus que leur pays soit un terrain fertile pour les tueurs ou un refuge pour ceux qui tentent d’échapper à la punition », a-t-il ajouté.

Pour lui, « il est devenu clair » que les exécutants sont sortis des « rangs » du Hezbollah, appelé à « coopérer » pour l’arrestation de Salim Ayyash. La sentence sera prononcée dans les prochaines semaines. Il risque la perpétuité, mais ne connaîtra sans doute pas la prison. Avant même l’émission des mandats d’arrêt en 2011, le Hezbollah avait promis de « couper la main » aux téméraires qui livreraient un accusé. Le parti chiite n’a pas réagi au verdict, mais avait anticipé. Le 14 août, son chef, Hassan Nasrallah, avait indiqué que le parti ne se sentait « pas concerné par les décisions du TSL ».

« La justice est belle ! Nous avons obtenu, pour une fois au Liban, une vérité judiciaire sur un acte terroriste », a déclaré l’avocate des parties civiles. Une vérité partielle, que Nada Abdelsater-Abusamra justifie : « Le jugement dit lui-même qu’il y a d’autres personnes qui ont décidé, qui sont impliquées, mais qu’il n’y a pas la preuve pour les juger, et c’est aussi ça la justice. » L’avocate rappelle que, dès l’attentat, la scène de crime avait été passée au bulldozer, à l’aube d’une enquête qui se révélera chaotique : manipulations, fuites de noms de témoins dans la presse, enquêteurs molestés, ordinateurs perdus. En janvier 2008, le capitaine des Forces de sécurité intérieures libanaises, Wissam Eid, était assassiné. C’est lui qui avait le premier analysé les réseaux de téléphones utilisés par les exécutants, preuves qui ont permis la condamnation de Salim Ayyash.

Pour l’avocate, le tribunal reconnaît « la valeur des victimes » et cela « tranche sérieusement avec ce qu’il se passe au Liban. Cette explosion sur le port [le 4 août], ce massacre, et la façon dont les autorités réagissent ! »

Au cours du procès ouvert en janvier 2014 au TSL, les victimes sont venues à la barre raconter l’horreur, cette seconde terrifiante où les vies basculent. Certaines d’entre elles ont reçu des indemnités de l’Etat, quelques-unes de la famille Hariri, mais pour la majorité, rien. Les juges ont appelé les autorités libanaises à les indemniser ou, plus réaliste dans un Liban en banqueroute, à permettre la création d’un fonds volontaire.

Tribunal décrié

La mort de Rafic Hariri avait plongé le Liban dans la tourmente. Une vague de manifestations, connue sous le nom de « révolution du Cèdre », avait entraîné le retrait des troupes syriennes du Liban.

Le tribunal est censé poursuivre les auteurs des attentats commis contre des responsables politiques et des journalistes antisyriens entre octobre 2004 et décembre 2005. En juin 2019, il a émis de nouvelles accusations contre Salim Ayyash pour sa responsabilité présumée dans d’autres attentats. Ces nouvelles accusations prolongent la vie de ce tribunal qui avait été créé à l’initiative de la France et des Etats-Unis sous les mandats de Jacques Chirac et de George W. Bush et dont la raison d’être a souvent été décriée dans le climat d’impunité qui règne au Liban.

Régi par un accord entre le gouvernement libanais et l’ONU, malgré l’opposition du Parlement, le tribunal a toujours suscité la controverse. Pour l’avocate franco-libanaise Alia Aoun, « l’état des tribunaux et des prisons au Liban est catastrophique et, chaque année, le pays paie 49 % de la facture » du TSL. Le reste du budget de quelque 55 millions d’euros annuel est réglé par une trentaine d’Etats, sur une base volontaire, dont plusieurs pays du Golfe.

Au total, plus de 1 milliard de dollars (840 millions d’euros) ont été dépensés depuis 2005. Au Liban, certains ironisent sur le fait que « 1 milliard de dollars ont été dépensés pour apprendre qu’Ayyash avait téléphoné ».

LE MONDE

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