Tudieu qu’il était calme et souriant. Et doux aussi, qu’est-ce qu’il était doux et déférent, on aurait dit un chérubin (s’il n’y avait la barbe, le turban, la soutane couleur corbeau…). Hassan était calme, doux et déférent. C’était l’événement de la semaine. Et tout le monde de s’émerveiller de son ton mielleux et conciliant à commencer par Walid Joumblatt, toujours prêt à mordre sur ses plaies et à pardonner des vexations toujours sanglantes, mais systématiquement attribuées à des actions « individuelles » entreprises de-ci de-là par les amis du chérubin barbu.
Et pourtant, le barbu au sourire béat n’est jamais aussi fielleux que lorsqu’il est mielleux et s’il lui arrive de renoncer à ses hurlements et d’adopter un ton amène, c’est uniquement pour avancer ses pions. Mais pour réussir son nouveau tour de passe-passe, quelques préparatifs étaient nécessaires. D’abord, il lui fallait effacer au plus vite le souvenir de ce « maudit » 14 février qui avait surpris tout le monde, y compris ses propres commanditaires. Ce jour-là, des centaines de milliers de Libanais avaient réussi à exorciser leurs craintes et leurs déceptions et s’étaient rassemblés pour célébrer la convivialité retrouvée. Pour transformer leurs retrouvailles en un mauvais souvenir, quelques dizaines de gangsters ont suffi. Leur objectif était de rappeler à ceux qui ne l’avaient pas encore compris que les pratiques instaurées un 7 mai pouvaient reprendre à tout moment. C’était parfaitement réussi, merci !
Le terrain ayant ainsi déblayé, Hassan la menace pouvait tranquillement déployer son sourire perfide pour nous sortir un magnifique lapin de son turban. De quoi s’agit-il ? Hassan Nasrallah croit que le moment est enfin venu pourqu’il encaisse les dividendes longtemps restés impayés de sa « victoire divine ». Privé de guerre contre Israël, il avait fini par trouver le seul débouché possible pour ses armes, les « investir » en interne pour imposer ses quatre volontés aux Libanais et tenter de changer la répartition des pouvoirs entre communautés. Aussi, sa nouvelle proposition vise tout simplement à dynamiter l’accord de Taëf. Mais comme il ne peut le faire ouvertement, il procède indirectement en essayant de pérenniser les « acquis » engrangés à Doha. Le stratagème est assez futé, il repose sur ce qu’on pourrait appeler le principe du « tiers » baladeur. Il l’énonce lui-même ainsi:
Si je perds les élections, je garde le « tiers de blocage » au gouvernement, si je les gagne, ce tiers devient votre (j’accepte volontiers de vous en transférer la jouissance). La boucle est ainsi bouclée laissant le camp adverse face à un dilemme. Si la proposition est acceptée, le parti khomeyniste aura réussi son coup et le principe même de majorité et de minorité n’aura plus aucun sens. Si en revanche elle est rejetée, le Hezbollah aura les mains libres pour façonner le pays à sa guise. Plus fielleux que le chérubin tu meurs !
Mais, ce que vise le Hezbollah va nettement au-delà de cet échange de bons procédés. Hassan Nasrallah ne s’en cache pas d’ailleurs et s’il le dit en enfonçant des portes ouvertes sur le système confessionnel libanais, c’est pour mieux faire valoir ses arguments et imposer par la suite ses propres conclusions. L’époque des « binômes » est révolue. Toutes les communautés, dit-il en substance, doivent avoir le droit de participer pleinement au pouvoir (killna ya’ani killna, dit une bonne blague libanaise). En clair, cela signifie que les Chiites n’accepteront plus d’être les laissés pour compte du système et réclament une part équivalente à celle des Sunnites et des Chrétiens réunis. Nous y voici nous y voilà !
Le binôme est mort, vive le trinôme ! Hassan Nasrallah se hâte lentement, mais Al-Muthalatha arrive à grands pas, notamment grâce à l’appui d’un Général gâteux qui a oublié son arithmétique élémentaire et qui soutient mordicus qu’un tiers est supérieur à un demi.