Les Israéliens et les Syriens dialoguent depuis longtemps. La nouveauté, c’est que les deux parties ont publiquement confirmé l’existence de ces négociations. Mais les Américains n’ont pas encore donné leur feu vert.
Tout a commencé le 6 janvier 2004, lorsque le président Bachar El-Assad a effectué une visite officielle en Turquie, la première depuis l’indépendance de la Syrie, en 1946. En Israël, on ne cachait pas son inquiétude de voir Ankara se rapprocher de Damas. Le jeune Assad [au pouvoir depuis juillet 2000]était considéré comme un jouet entre les mains de la vieille garde de généraux baasistes syriens. De son côté, Ariel Sharon, Premier ministre de 2001 à avril 2006, était en train de plancher sur le plan de désengagement de la bande de Gaza [qui a eu lieu en août 2005].
Mais, surprise, Assad proposa au Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan de mettre à profit ses bonnes relations avec Israël pour relancer le processus diplomatique entre Damas et Jérusalem, bloqué depuis le printemps 2000, après la rencontre entre Hafez El-Assad et le président Bill Clinton. Assad père avait toujours pris soin d’utiliser une médiation américaine, et les Israéliens s’attendaient à ce que son fils fasse de même. De fait, l’ambassadeur de Turquie en Israël, Feridun Sinirlioglu, prit contact avec son ami Allon Liel, ancien directeur général aux Affaires étrangères et ancien ambassadeur d’Israël à Ankara. Sinirlioglu demanda à Liel de sonder son gouvernement sur l’idée d’une reprise des négociations avec la Syrie. Shalom Turgeman, conseiller diplomatique d’Ariel Sharon, répondit : “Ce n’est pas que le Premier ministre est opposé à une paix avec la Syrie, mais, voyez-vous, les Américains n’aimeraient pas ça.”
La question de l’alliance entre la Syrie et l’Iran
Fin mars 2004, à la suite d’une vague d’attentats suicides, Ariel Sharon donna l’ordre à Tsahal d’assassiner le chef du Hamas, Ahmed Yassine. Moins d’un mois plus tard, le numéro deux du Hamas, Abdelaziz Rantissi, était lui aussi liquidé. Cela ne dissuada pas Bachar El-Assad de proposer aux Turcs un intermédiaire discret en la personne d’Ibrahim Suleiman, un septuagénaire, homme d’affaires américain d’origine syrienne, de confession alaouite [la communauté au pouvoir en Syrie]et connu des Israéliens. Uzi Arad, directeur du Centre interdisciplinaire d’Herzliya [un think tank conservateur israélien]et ancien conseiller diplomatique de Benyamin Nétanyahou [Premier ministre de 1996 à 1999], fut informé de ces contacts et prié d’y participer. Mais, en septembre 2004, après plusieurs rencontres stériles, les diplomates turcs décidèrent de jeter l’éponge.
Dès la fin 2004, Nicholas Lang, l’envoyé spécial de la Suisse au Moyen-Orient, prit la relève de la diplomatie turque. Lors d’une de ses visites à Damas auprès de Farouk El-Chareh [chef de la diplomatie syrienne de 1984 à 2006], Lang souleva la question de l’alliance entre la Syrie et l’Iran. Ses hôtes lui répondirent que le régime alaouite faisait partie du monde sunnite et que c’était le boycott imposé par les Etats-Unis qui jetait la Syrie dans les bras d’un régime chiite radical, qui s’ingérait en outre de plus en plus en Irak et au Liban. Dès lors, un accord de paix qui déboucherait sur une réconciliation avec les Etats-Unis permettrait à la Syrie d’échapper à l’étreinte iranienne.
Micheline Calmy-Rey, présidente et ministre des Affaires étrangères de la Suisse, accepta d’héberger des négociations à Genève. Des médiateurs américains furent alors conviés. Ainsi, Geoffrey Aronson – de la Fondation pour la paix au Moyen-Orient, installée à Washington – se joignit au groupe et décrocha les services d’un donateur américain. Tous les deux mois, Liel et Arad s’envolaient pour la Suisse, pour rencontrer Suleiman et Lang.
Uzi Arad était remonté contre la “capitulation” des Israéliens face aux demandes syriennes concernant le tracé de la future frontière. Liel ne faisait pourtant qu’endosser la position de feu le Premier ministre Yitzhak Rabin et de ses successeurs travaillistes, Shimon Pérès et Ehoud Barak. Et, malgré les dénégations d’Uzi Arad et de Benyamin Nétanyahou, Shlomo Ben-Ami, chef de la diplomatie israélienne en 2000, affirme qu’un document officiel déposé dans le coffre-fort de la présidence du Conseil indique que Nétanyahou avait bel et bien lui aussi défendu la même position.
Restait à définir le tracé de la frontière de 1967
Le général Uri Saguy, ancien directeur de l’Aman [renseignements militaires], affirme qu’en 2005 les deux parties étaient tombées d’accord sur un retrait israélien sur les lignes du 4 juin 1967, en échange d’une paix totale et d’une démilitarisation du plateau du Golan. Restait à définir le tracé exact de la frontière de 1967, étant donné qu’il n’existe à ce jour aucune carte agréée pour trancher le litige de 400 mètres opposant Israéliens et Syriens. Enfin, le document élaboré par les Suisses laissait aux délégués le soin de fixer un calendrier pour le retrait israélien et l’évacuation des implantations [colonies juives]du Golan.
Toutefois, tous les responsables israéliens n’acceptèrent pas de monter dans le train syrien. Nicholas Lang se rendit à Jérusalem en août 2006, au plus fort de la guerre du Liban, et fut reçu par Joram Turbowicz, directeur de cabinet d’Ehoud Olmert [Premier ministre depuis avril 2006]. Turbowicz écouta le rapport du diplomate. Qui plus est, de sources concordantes, Lang aurait même présenté une solution pour Eldad Regev et Udi Goldwasser, les deux soldats dont l’enlèvement [par le Hezbollah]était à l’origine de la guerre. En vain. Au cabinet du Premier ministre, on nie en bloc. Finalement, Olmert accepta que Turbowicz envoie à Genève un émissaire, et les Syriens demandèrent à Israël de convaincre les Américains. Mais la réponse de ces derniers ne se fit pas attendre. C’était non.
Dès lors, Olmert réagit avec sa morgue coutumière et railla un Allon Liel qui aurait “négocié tout seul”. Il s’en prit aussi aux ministres travaillistes qui étaient en poste à cette période – Amir Peretz [Défense], Tzipi Livni [Affaires étrangères], Yuli Tamir [Enseignement] et Meir Sheetrit [Intérieur] – pour avoir déclaré que le gouvernement devait laisser les choses suivre leur cours. Le chef de l’Aman, Aharon Zeevi-Farkash, constata que Sharon n’avait pas informé son bras droit Olmert de l’existence d’un canal syrien, demanda à ce dernier de ne pas se réfugier derrière le risque d’un refus américain.
Début 2007, exactement trois ans après la visite de Bachar El-Assad à Ankara, Olmert s’est retrouvé assis dans le même canapé du bureau du Premier ministre turc Erdogan. Ce dernier, conscient de l’état critique de la médiation suisse, a donc à nouveau proposé ses bons offices, Olmert chargeant Turbowicz de veiller à ce que rien ne vienne irriter les Américains.
Ha’Aretz
http://www.courrierinternational.fr
/article.asp?prec=0&suiv=4898&page=2&obj_id=86012