Le Noël tragique des chrétiens d’Orient

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Les habitants du quartier de Gemmayzeh, à Beyrouth ont lâché des ballons en souvenir des victimes de l’exploision du port lors d’une cérémonie, dimanche, autour des lumières de Noël.

RÉCIT – Après avoir fui l’Irak et la Syrie, ravagés par les guerres, les Libanais quittent aujourd’hui leur pays en faillite, réduisant d’autant la présence chrétienne sur ces terres.

Menaces islamistes, violences persistantes, banqueroute financière: de Beyrouth à Bagdad, en passant par Le Caire et Damas, les chrétiens d’Orient s’apprêtent à vivre un Noël dans la crainte d’un avenir toujours plus sombre pour les descendants de Jésus, de moins en moins nombreux à s’accrocher à leurs terres levantines.

À Beyrouth, Sonia n’a pas vraiment le cœur à fêter Noël. «Tout a changé cette année, nous ne sommes plus dans les célébrations matérielles, nous nous regroupons autour de la famille, nous sommes dans l’essence même de Noël, car il n’y a plus rien à fêter dans le pays», ajoute cette avocate libanaise, jointe au téléphone. Son bureau a été dévasté par l’explosion du port qui ravagea des quartiers entiers de la capitale, causant la mort de 200 personnes, en août dernier. «Les autres années, se souvient-elle, on allait dans les pubs, les restaurants, on achetait davantage de cadeaux pour les enfants.»

Le Liban est plongé dans la pire crise économique et financière de ces quarantes dernières années. De nombreux Libanais, chrétiens en particulier, s’exilent, tandis que la classe politique s’agrippe à son pouvoir pour refuser toute réforme, indispensable à la renaissance d’un pays, au bord de la faillite. Certes, les décorations de Noël fleurissent à Beyrouth. Mais la capitale, d’ordinaire festive, célèbre la naissance du Christ dans la douleur. Les familles ont bien confectionné un sapin, mais les plus pauvres n’ont acheté qu’un arbre artificiel, tandis que d’autres ont récupéré ceux d’amis ou de voisins. «On n’a acheté ni nouvelles guirlandes, ni boules supplémentaires», regrette Mitzi, une autre habitante de Beyrouth. Nourrir, payer son loyer devient souvent un tour de force. «Le pays ne se maintient que grâce au tissu associatif, aux ONG, aux solidarités locales et au travail que font les Églises lorsque l’État est absent», constate Vincent Gelot, responsable de l’Œuvre d’Orient au Liban. «Si toute cette aide s’arrête demain, le Liban s’effondrera, prévient-il. Heureusement, les communautés chrétiennes font un travail remarquable et nous donnent de réelles raisons d’espérer.»

Sonia, qui vit seule, a donné de l’argent, de la nourriture, et des médicaments aux églises. «Tous les particuliers qui ont encore un peu d’argent l’ont fait, dit-elle. Les œuvres humanitaires libanaises, même non-chrétiennes, ont redoublé d’efforts pour aider les familles dans le besoin pour ce Noël», se félicite cette maronite, issue de la communauté chrétienne la plus importante du pays, qui en compte au total dix-sept, musulmans compris. Comme tant d’autres, la famille de Mitzi a vu son niveau de vie dévisser en raison de l’effondrement de la livre libanaise. Même l’archevêché maronite panse ses plaies: trois de ses églises sont à refaire, dont la très belle cathédrale Saint-Georges du centre-ville, construite en 1755 et dont le plafond, travaillé à la feuille d’or, est une mini-réplique de la basilique Saint-Pierre de Rome.

Malgré son goût amer, ce Noël reste une lueur dans la nuit. «Bien sûr, le budget pour les cadeaux a été réduit, reconnaît Randa Farah, fondatrice du site Lebtivity.com, mais on a vu aussi de nombreux marchés de Noël organisés par des ONG, comme celui en face du port, où chaque personne dans le besoin a pu venir chercher un plat chaud gratuitement.» Comme si dans ce pays où l’individualisme a longtemps été la règle d’or, une solidarité a germé pour atténuer les effets de la crise. Ainsi, dans le camp de réfugiés palestiniens chrétiens de Dbayeh, au nord de Beyrouth, les petites sœurs de Nazareth s’activent nuit et jour au service des familles marginalisées. «N’abandonnons personne», insiste Vincent Gelot.

Le responsable de l’Œuvre d’Orient rentre de Syrie. «La situation est pire que ce que je redoutais, déplore-t-il. La livre s’est effondrée. Le Covid-19 et les conséquences tragiques de la guerre font des ravages. Dans la banlieue ouest d’Alep, une école chrétienne de la congrégation latine du Rosaire a été libérée voilà quelques semaines de groupes djihadistes qui l’occupaient depuis 2012. L’établissement, totalement bombardé, est en ruines. Nous devons reconstruire cette école, comme nous l’avons fait pour les autres. Plus que jamais, les chrétiens d’Orient ont besoin de notre soutien», rappelle Vincent Gelot.

Le chemin de l’exil

Au fur et à mesure que le Proche-Orient est secoué par la violence et l’instabilité, les chrétiens cèdent aux sirènes de l’émigration. Un million cinq cent mille chrétiens en Irak avant l’invasion américaine de 2003 ; à peine 300.000 aujourd’hui. Dans ce pays de l’ancienne Mésopotamie, que visitera le pape François en mars, l’État est sans le sou, la menace des djihadistes et la pression des milices chiites pro-iraniennes demeurent, tandis que la reconstruction des villes libérées de Daech, il y a trois ans, n’a pratiquement pas commencé. Difficile dans ces conditions de résister à l’exil, même si – et les chrétiens d’Orient le savent d’expérience – l’émigration est, souvent, un miroir aux alouettes.

En Syrie, les chrétiens ne représentent plus qu’entre 5 et 8% de la population. Quelque 600.000 d’entre eux sont partis depuis le début de la révolte contre Bachar el-Assad en 2011. Comme Youssef et Hala qui ont fait une croix sur Damas, leur ville, dont ils sont partis, peu après le commencement du soulèvement, pour se réfugier à Beyrouth, cette cité qu’ils songent désormais à quitter à son tour faute d’avenir. «Revenir à Damas? Impossible, constate avec amertume Youssef, qui est aujourd’hui à la retraite ; beaucoup de nos amis sont partis ; nos deux enfants eux aussi ont pris le chemin de l’exil, ils n’avaient pas d’avenir en Syrie.»

Anis, leur vieil ami resté dans son quartier de la vieille ville de Damas, lui, s’accroche. «Au début de la révolution, mes deux garçons sont partis étudier à l’étranger, ils ne veulent pas revenir, déclare ce commerçant. Ils ont trouvé du travail en Europe et dans le Golfe, tant mieux pour eux. Mais nous, nous devons rester, sinon il n’y aura bientôt plus de chrétiens en Syrie.»

Au Liban, la crise actuelle fait craindre qu’un nouvel exode n’affaiblisse encore la communauté chrétienne, grande perdante de ces quarante dernières années, face notamment aux chiites (30% environ de la population comme les chrétiens), désireux de rééquilibrer la balance du pouvoir politique, que se partagent les confessions.

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