Jean-Pierre Filiu : « L’État islamique n’a jamais cessé d’avancer »

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INTERVIEW – Jean-Pierre Filiu, historien et professeur à Sciences-Po, analyse l’avancée de l’Etat islamique, qui vient notamment de prendre Palmyre et Ramadi.

Comment expliquer cette nouvelle poussée de l’État islamique, que l’on croyait affaibli ?

En réalité, Daech n’a jamais cessé d’avancer. On ne comprend pas ou on feint de ne pas comprendre la dynamique qui est à l’œuvre. Et à chaque fois, on reste accablé, transi, bouleversé par ce qui est absolument prévisible. Tant que ceux qui sont censés combattre Daech feront le jeu de Daech, on ira ainsi de mal en pis.

C’est-à-dire ?

L’idée en Syrie que l’on peut considérer Bachar El-Assad comme un rempart contre l’État islamique vient de prouver une fois de plus son inanité absolue. Non seulement Bachar n’a rien fait pour empêcher les djihadistes de traverser 200 km pour atteindre Palmyre, où il n’y a pas un brin d’herbe pour se cacher, mais en plus il paraît évident que ce dernier a laissé faire pour que justement le symbole de la chute de Palmyre serve sa propagande. Face à Daech, nous n’avons pas aidé ceux qui pouvaient leur tenir tête, c’est-à-dire concrètement les révolutionnaires en Syrie.

Mais 500 soldats syriens sont morts pour défendre Palmyre… Oui, mais pendant l’offensive de Daech contre Palmyre, il y a eu des bombardements sans précédent sur le nord-ouest du pays et pas dans cette zone. Pour Bachar, l’ennemi principal n’est pas Daech, et pour Daech, l’ennemi principal n’est pas Bachar. Résultat, c’est le choc de ces deux monstres qui nous amène à cette nouvelle tragédie.

« Nous pensons en position alors qu’eux pensent en mouvement »

Comment empêcher l’État islamique de s’emparer de Damas ou de Bagdad ?

Nous raisonnons en termes de ligne Maginot face à un ennemi qui est dans la guerre de ce siècle. Nous pensons en position alors qu’eux pensent en mouvement. Les Américains raisonnent en termes de stocks, ils disent « nous avons tué 1.392 djihadistes » , tandis que les djihadistes raisonnent en termes de flux « dans l’intervalle nous avons recruté 5.000 ou 10.000 combattants ». Et nous, nous raisonnons en termes d’État, alors que Daech, et c’est sa principale force, est sorti de cette logique d’État-nation.

Bachar El-Assad est-il vraiment en grande difficulté ?

Aujourd’hui, il n’a plus confiance en aucun de ses compatriotes, y compris les Alaouites. Il est sous garde rapprochée iranienne. Son seul atout, hormis la protection iranienne et le soutien inconditionnel des Russes, c’est l’angoisse existentielle alaouite.

De quelles forces dispose-t-il encore ?

Des 300.000 soldats sous le drapeau loyaliste syrien, il n’en reste que 50.000 qui composent les unités d’élite. Ces dernières ne combattront jamais à Palmyre ou ailleurs parce qu’elles défendent d’abord le régime. En face, Daech dispose d’au moins 30.000 combattants très armés et expérimentés. Il y a aussi tous les supplétifs de type police islamique. L’essentiel du recrutement des Européens sert à gonfler les effectifs de ces supplétifs, qui assurent le maintien de l’ordre en territoire syrien.

Que penser de l’Armée de la conquête, cette coalition de rebelles où sont présents les djihadistes de Jabhat Al-Nosra ?

C’est une nouvelle et vraie coalition à but militaire qui ne veut pas le pouvoir. C’est le fruit d’une collaboration inédite depuis le début de cette année, entre Arabie saoudite, Qatar et Turquie. La grande nouveauté, c’est la grande réconciliation entre le Qatar et les Saoudiens, qui a abouti à des percées irréversibles sur Idlib [Nord-Ouest], par exemple. En toile de fond, leur ennemi, c’est l’Iran.

* Auteur de Je vous écris d’Alep, Ed. Denoël.

Karen Lajon – Le Journal du Dimanche

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