Jaffré : « Un vote sanction comme si nous étions à mi-mandat »

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La Nupes n’attire pas les catégories populaires, mais une classe moyenne diplômée et salariée, souligne l’analyste.

 

LE FIGARO. – Peut-on discerner le sens général de ce vote ?

Jérôme JAFFRÉ. – Il s’apparente à un vote sanction, et d’abord à l’égard de la majorité macroniste, comme si nous étions à mi-mandat et pas deux mois après une présidentielle ! Tout se passe comme si dimanche, les électeurs avaient jugé l’action du président et de sa majorité sur les cinq années écoulées et pas en pensant à l’avenir. Comme si l’électorat réglait ses comptes, ce qu’il n’avait pas pu faire lors de la présidentielle. Certes, Emmanuel Macron conserve le soutien d’un quart des votants mais il compte bien davantage d’opposants. S’est exprimée dimanche la volonté de refuser au président une majorité à sa main pendant cinq ans pour gouverner comme il l’entend.

Pour autant, ce n’est pas un vote d’alternance. La Nupes obtient le même résultat en pourcentage que l’addition des scores de LFI, du PC et des Verts aux législatives de 2017. En ajoutant dissidents et divers gauche, on obtient 30 % des suffrages exprimés, ce qui reste très minoritaire. Difficile d’y voir une poussée électorale de la gauche.

L’abstention bat un nouveau record pour des législatives. Comment l’interpréter ?

Aucun camp ne bénéficie, dans le pays, d’une forte envie de victoire. Une telle abstention traduit un échec pour Emmanuel Macron, qui ambitionnait de réconcilier les Français et la politique. Échec aussi pour Jean-Luc Mélenchon qui voulait mobiliser. Les jeunes se prononcent massivement Nupes quand ils votent : selon OpinionWay, 65 % des 18-34 ans se sont abstenus. Et Marine Le Pen est aussi victime du phénomène : ses candidats, souvent en troisième position, ne peuvent alors accéder au second tour tant la barre de qualification est élevée. Cette non-participation accélère la crise de la représentation, dont les abstentionnistes sont paradoxalement les premiers à se plaindre.

Quelles leçons tirer des résultats du parti macroniste ?

Ensemble ! ne justifie pas son nom. Le camp du président subit un rétrécissement générationnel et social. Selon Ipsos, il n’obtient plus qu’environ 15 % des suffrages exprimés parmi les moins de 60 ans et ne performent qu’au-delà avec 33 % chez les plus de 60 ans.

Les cadres qui se sont rendus aux urnes ne sont plus que 22 % à avoir voté pour lui contre 36 % aux législatives de 2017. Ensemble ! est pris en tenaille entre la Nupes et les droites radicales. Des figures principales de la macronie – Castaner, Guérini, Montchalin, voire Ferrand – élus dans des circonscriptions ancrées à gauche sont menacées, comme si elles constituaient désormais des cibles pour les électeurs.

Pour Jean-Luc Mélenchon, jusqu’à quel point parler de succès ?

La Nupes réussit une opération d’ardoise magique. Ses candidats comptabilisent sur un seul nom les voix de gauche dans la plupart des circonscriptions, porte d’accès au second tour. Mieux : l’étiquette LFI qui aurait pu provoquer un rejet disparaît derrière le drapeau de l’union de la gauche. L’union dont on sait à quel point elle est un moteur dans ce camp. La force de l’étiquette se mesure aussi dans l’échec des dissidents socialistes, presque toujours éliminés. Dans le 20e arrondissement de Paris, Lamia El Aaraje, soutenue par le PS et Lionel Jospin, est écrasée par la candidate LFI. A contrario, les deux ex-LREM investis par la Nupes, Cédric Villani et Aurélien Taché, sont bien placés pour être réélus.

Néanmoins, la Nupes n’attire pas les catégories populaires. Seuls 18 % des ouvriers qui se sont rendus aux urnes ont voté Nupes. Il s’agit en fait d’un vote de classe moyenne salariée et diplômée : 35 % des professions intermédiaires ont ainsi voté pour ses candidats. Le vote en faveur de la Nupes progresse avec le niveau d’études (17 % parmi les votants qui n’ont pas le bac jusqu’à 32 % chez les votants à bac +3) et décroît selon le niveau de revenus (34 % des suffrages exprimés parmi les revenus faibles et seulement 22 % parmi les revenus élevés).

Marine Le Pen a-t-elle des raisons de se réjouir ?

Il y a une progression des droites radicales même si, en nombre de sièges, elle restera limitée. Le RN et Reconquête ! totalisent 24 % des voix avec Dupont-Aignan et Philippot. À lui seul, le parti de Marine Le Pen frôle les 19 %, son meilleur score de toutes ses élections législatives. Il devance, pour la première fois dans ce scrutin, la droite classique (LR-UDI). Le parti de Marine Le Pen conserve le soutien des classes populaires : selon Ipsos, 45 % des ouvriers qui se sont rendus aux urnes ont voté pour le RN et encore 25 % parmi les employés. Constituer un groupe parlementaire paraît un objectif accessible avec l’espoir de dépasser nettement le chiffre fatidique de quinze. Cette fois-ci, le RN a gardé des acquis du vote présidentiel et peut espérer des victoires dans l’Aisne, le Var ou le Vaucluse. S’agissant de Reconquête !, c’est un échec et une défaite pour Éric Zemmour, mais il s’est tout de même installé dans le paysage politique. À la présidentielle, Reconquête ! a surtout gêné Marine Le Pen. Aux législatives au contraire, il a davantage pénalisé les Républicains, réduisant sa capacité de rebond.

Face aux trois poids lourds que sont Ensemble !, la Nupes et le RN, que reste-t-il de LR ?

Une nouvelle baisse mais pas un effondrement. La droite classique n’est forte que sur ses territoires habituels, où elle bénéficie d’élus implantés. Encore subit-elle des défaites dans certains de ses fiefs. Dans les Yvelines, département de Valérie Pécresse et Gérard Larcher, c’est une déroute. Douze circonscriptions, douze éliminations dont celles de deux sortants. Jusqu’au 16e arrondissement de Paris où ses deux candidats sont fortement menacés par les macronistes. Le bizarre de la situation est que ce sont les électeurs de gauche qui pourraient les sauver dimanche prochain.

Quelles perspectives se dessinent pour le second tour des législatives ?

On peut distinguer trois possibilités : une remobilisation électorale, une correction, enfin une amplification. Or, depuis 2002 et l’inversion du calendrier, l’abstention a toujours progressé au second tour des législatives. Une plus forte participation le 19 juin n’est pas l’hypothèse la plus plausible. Le scénario d’une correction survient lorsque l’électorat veut éviter que le camp vainqueur n’obtienne une majorité trop large. Ce fut le cas aux seconds tours de 1967, 2007 et 2017. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure.

Reste l’hypothèse d’une amplification des tendances du premier tour qui pourrait empêcher Ensemble ! d’obtenir une majorité « forte et claire » (Macron dixit). C’est le RN et ses électeurs qui vont se trouver au cœur du deuxième tour. Dans les cas d’un duel Nupes-RN, que feront les électeurs macronistes ? Et s’agissant des duels Ensemble !-RN, quid des électeurs mélenchonistes ? Redoutable situation où voter contre le RN signifierait pour un électeur aider le principal adversaire à grossir ses rangs ! Et ce sont les électeurs RN qui bien souvent vont arbitrer les plus de 270 duels entre la Nupes et Ensemble ! Du côté où ils tomberont pourrait bien varier l’attribution d’une vingtaine de sièges.

Enfin, si Emmanuel Macron est assez loin d’une majorité absolue, le rôle des députés des Républicains deviendra majeur. Serait-il alors envisageable de bâtir une coalition des macronistes avec la majorité des LR, fût-ce au prix d’un changement de premier ministre juste un mois après l’avoir nommée !? La question peut déjà être posée. ■

* Jérôme Jaffré est chercheur associé au Cevipof.

Le Figaro

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