Que le parti khomeyniste cherche à semer la zizanie chez ses coreligionnaires sunnites est chose parfaitement compréhensible et somme toute, assez logique. Diviser pour mieux régner est un adage indémodable et pour un parti porteur d’un projet hégémonique, on ne voit pas au nom de quoi il s’interdirait de le faire. Évidemment, on pourrait s’étonner d’un tel comportement de la part d’un parti qui a fait de Dieu son objet fétiche, mais ce serait oublier que dans le Liban confessionnel toutes les factions s’abritent plus ou moins sous l’ombrelle d’un Dieu quelconque !
Aussi, il ne faut surtout pas prendre prendre le « mémorandum d’entente » conclu récemment (et avorté depuis) entre le parti totalitaire chiite et quelques salafistes sunnites pour ce qu’il n’est pas. Sinon, on prendrait les vessies pour des lanternes. Ainsi, lorsque l’on lit dans le document que le Hezbollah cherche à « interdire toute discorde » entre familles musulmanes et à « empêcher toute incitation à la haine qui galvanise les foules », on aurait plus tendance à s’esclaffer qu’autre chose. Le but était bien autre et la fin justifie toujours les moyens.
Loin de considérer qu’il avait franchi un quelconque Rubicon lors de son assaut contre Beyrouth, le parti khomeyniste continue à préparer le terrain en vue des élections législatives qu’il considère (à juste titre) comme la « mère de toutes les batailles ». Tel est bien l’enjeu et tout ce qui pourrait miner l’emprise (qui demeure prépondérante en dépit des dissensions intestines) d’Al Mustaqbal sur la communauté sunnite doit être tenté.
En cherchant ainsi à soustraire quelques salafistes à cette emprise, le parti khomeyniste œuvre sciemment pour semer la « discorde » et non pas à la résorber, comme il le prétend. Mais encore une fois, la question n’est pas là. Si le but du Hezbollah est parfaitement clair, pourquoi lesdits salafistes s’étaient-ils embarqués dans une telle entreprise et pourquoi surtout se sont-ils rétractés ?
C’est une vraie gageure que de prétendre comprendre ce qui se passe réellement au sein de la nébuleuse intégriste sunnite et surtout de déterminer qui y fait quoi ou encore qui contrôle qui et qui finance quoi. On pourrait se lancer dans toutes sortes de conjectures, mais l’évolution des choses dans une ville de plus en plus opaque comme Tripoli résiste à l’élucidation.
Toutefois, une petite phrase sibylline dans le texte signé pourrait éclairer ponctuellement ce petit développement insignifiant dans le contexte général. Il y est dit que les deux parties « seront solidaires, dans la mesure du possible, face à toute injustice dont l’une ou l’autre serait victime » et qu’elles « voleront au secours l’une de l’autre en cas d’attaque ».
Le but du menu fretin salafiste apparaît ainsi au grand jour. Ayant été particulièrement actifs au cours des récentes violences à Tripoli (pour se tailler une petite place au soleil et accéder aux largesses du bailleur de fonds saoudien), ils craignaient probablement d’en devenir le bouc émissaire si le gouvernement se décidait enfin à donner le feu vert à l’armée pour nettoyer la ville de ces activistes émergeants.
Ayant été pris sous l’aile du grand frère salafiste et leurs craintes ayant été effacées, le « mémorandum d’entente » avec le Hezbollah devenait ipso facto caduc. Fin de l’épisode.
La petite manœuvre du parti khomeyniste a peut-être fait long feu, mais ce n’est que partie remise !