François Ier, à peine élu, s’est adressé à la foule massée sur la place Saint-Pierre au Vatican, avec modestie, sur un ton qui est loin de résonner comme celui d’un représentant du ciel sur la terre. Il a salué ses ouailles comme évêque de Rome. Il est encore prématuré de dire quoi que ce soit sur ce pontificat qui commence mais il y a lieu de le situer dans la foulée de celui de Benoît XVI et de sa renonciation volontaire au « souverain pontificat » qui a introduit une rupture. Rien ne sera plus comme avant sur le siège romain.
Nés en 753, les Etats Pontificaux furent démantelés en 1870 lors de l’unification de l’Italie. La « question romaine » demeura en suspens jusqu’aux Accords du Latran signés le 11 février 1929 entre le Saint-Siège et l’Etat italien. La souveraineté temporelle du pape fut ainsi réduite au seul État de la Cité du Vatican. Le 11 février est une fête d’Etat qui est chômée au Vatican. Et c’est le 11 février 2013 que Benoît XVI annonça son abdication ou sa renonciation à la charge de « Souverain Pontife ». Imagine-t-on un président français annoncer sa démission un 14 juillet ou un président américain le faire un 4 juillet ? Le choix de la date est-il uniquement l’effet du hasard ? Comment lire symboliquement ces signes des temps ? Le titre de Souverain Pontife était jadis porté par le grand prêtre de la religion romaine. En 382, l’empereur chrétien Gratien refusa de le porter, parmi d’autres mesures édictées contre les religions anciennes. Après lui, le titre ne fut plus en usage durant des siècles, jusqu’à ce que le pape Théodore Ier le reprenne en 642.
Au lendemain de l’élection d’un pontife romain qui fait le choix de porter le nom du poverello François d’Assise, les multiples gestes symboliques de Benoît XVI s’éclairent d’un jour nouveau. On a l’impression que le pontificat du pape Ratzinger fut une spirale tourbillonnante. Benoît XVI est le premier pape à avoir remplacé la tiare par une mitre sur la première version de ses armoiries personnelles. Pourtant, un nouveau blason pontifical a vu le jour en octobre 2010, orné cette fois-ci selon l’usage traditionnel, de la tiare. Mais le retrait, même temporaire, de la tiare est lourd de signification car la triple couronne exprime et symbolise le triple pouvoir du pape.
– Sur le registre temporel, elle proclame le pape comme « Père des rois », « Régent du monde » et « Vicaire du Christ ».
– Sur un registre symbolique elle reconnaît au pape : (1)Le pouvoir d’ordre sacré, celui d’être le souverain pontife. (2) Le pouvoir de juridiction, celui de lier et délier sur la terre comme au ciel. (3) Le pouvoir souverain du magistère, en vertu de l’infaillibilité pontificale ex cathedra.
Entre le retrait de la tiare de ses armoiries en 2005 et son « abdication » du « pontificat suprême », le règne de Benoît XVI est comme pris dans un processus de dépouillement toujours plus grand, d’une purification, et peut-être d’une véritable spiritualisation. Ses derniers discours, depuis le jour de la fête d’Etat vaticane du 11 février 2013, montrent clairement l’irruption soudaine de la collégialité. Il n’a parlé « que » comme évêque de Rome. Son successeur François Ier a saisi la balle au vol et a fait de même pour ses premières paroles urbi et orbi.
L’observateur, familier de l’histoire des longues durées, se sent saisi d’un vertige. Comme elles semblent lointaines les grandes figures des papes romains qui ont fait la monarchie pontificale : Grégoire VII et ses Dictatus Papae, Innocent III et surtout Boniface VIII et sa bulle Unam Sanctam dans laquelle il proclame : « Dès lors, nous déclarons, disons, définissons et prononçons qu’il est absolument nécessaire au salut, pour toute créature humaine, d’être soumise au pontife romain ».
En agissant comme il l’a fait, Benoît XVI a définitivement permis à l’Eglise de Rome de rompre avec une certaine mystique, voire un certain mythe, de la papauté. L’humilité et la sagesse de sa renonciation devraient servir d’exemple aux prélats des églises orientales, catholiques et orthodoxes, qui ressemblent plus à des potentats perdus au milieu de leurs fastes et cherchant désespérément à les faire protéger par un pouvoir temporel. Le successeur de Benoît XVI a parfaitement compris, semble-t-il, la portée du message et surtout le fait qu’il avait un très grand rendez-vous avec l’Histoire.
C’est là où réside l’immense responsabilité du nouveau pape, à la tête d’une institution qui découvre combien elle est humaine et combien elle est appelée à témoigner en faveur de l’humanisme intégral, fondement de la pacification de soi et, donc, du vivre-ensemble.
Ce rendez-vous que l’Histoire vient de fixer à François Ier, sera-t-il un succès ou un échec ?
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Beyrouth