Enquête vidéo Deux jours après les faits, Hamas et armée israélienne continuent de se renvoyer la responsabilité du drame. Les images authentifiées et analysées par « Le Monde » permettent de mieux comprendre ce qu’il s’est passé.
Mardi 17 octobre à Gaza, comme tous les jours depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël, la chaîne de télévision Al-Jazira filme les toits de Gaza en direct. A l’écran, le bandeau indique qu’il est 18 h 59, lorsqu’une lueur s’élève dans le ciel, puis disparaît dans un flash. Huit secondes plus tard, un nouveau flash est visible, au sol cette fois-ci : une explosion retentit à l’hôpital Al-Ahli, à Gaza.
Rapidement, le Hamas accuse l’armée israélienne d’avoir bombardé l’hôpital. Selon les autorités gazaouies, 471 personnes auraient perdu la vie dans l’explosion. « Ce ne sont pas des frappes israéliennes qui ont touché l’hôpital », dément Daniel Hagari, le porte-parole de Tsahal. Israël accuse au contraire une roquette palestinienne et remet en question le nombre de victimes, bien plus faible selon eux.
Le Monde a authentifié et analysé une dizaine de photos et vidéos du drame. Si ces images ne permettent pas de s’assurer de l’origine de l’explosion, elles apportent de nombreux éléments de contexte : comme la trajectoire probable du projectile, la présence de roquettes tirées de Gaza dans les instants qui précèdent l’explosion et les caractéristiques des dégâts.
Le projectile suit une trajectoire allant du sud vers le nord
Située à 1,4 kilomètre au nord-ouest de l’hôpital, en plein cœur de Gaza, la caméra d’Al-Jazira capte tout ce qui se passe à l’est de la ville. Sur les images, on voit un projectile avancer de la droite vers la gauche de l’écran. Il monte en cloche, puis explose dans le ciel. Les images ne permettent pas de suivre, ensuite, de trajectoires de débris potentiels vers le sol.
La caméra dézoome et fait un mouvement vers le bas. Cinq secondes après la première explosion, une autre survient au sol. Puis trois secondes plus tard, une troisième, bien plus importante. Nous avons pu confirmer que cette dernière se produit dans l’enceinte de l’hôpital Al-Ahli, reconnaissable à plusieurs bâtiments. La chaîne de télévision précise qu’il est alors 18 h 59, heure locale.
D’autres images montrent une salve de roquettes avant l’explosion
La chaîne israélienne N12 affirme également avoir obtenu des images du moment où l’hôpital est touché par une explosion, prises par une caméra de surveillance à Netivot, en Israël, à 10 km de la frontière. Le Monde a pu déterminer précisément la position de la caméra, à l’extrémité nord-est de la ville. De là, elle enregistre tout ce qu’il se passe côté Gaza, à l’ouest.
On voit une série de lueurs qui s’élèvent dans le ciel, en réalité une salve de projectiles, et se dirigent vers la droite de l’écran. L’une d’entre elles plonge subitement vers le sol. L’heure indique 18 h 59 et 20 secondes, comme celle d’Al-Jazira. En croisant les champs des deux caméras, il est possible d’affirmer qu’ils suivent une trajectoire allant du sud vers le nord.
Une troisième caméra, située sur la frontière nord de la bande de Gaza, a également filmé la scène. Diffusée par le journaliste Emanuel Fabian sur X, elle montre à la droite de l’image des projectiles qui s’élancent dans le ciel. A la 19e seconde, une explosion au sol est visible à l’écran, sans qu’on puisse distinctement voir ce qui l’a provoquée.
Le Monde a pu confirmer que ces images ont été prises à Netiv Haasara, un village israélien situé au nord de la bande de Gaza. La caméra est située entre le village et la frontière, à un peu moins de 10 kilomètres de l’hôpital Al-Ahli. Le journaliste israélien publie peu de temps après des éléments donnant l’heure précise à laquelle l’explosion a été enregistrée : 18 h 59 et 20 secondes. Le même horaire à la seconde près que celui de la vidéosurveillance de Netivot.
La forme du rayonnement lumineux issu de l’explosion et sa durée correspondent aux deux vidéos précédentes. Comme elles, cette caméra ne montre pas de traces de bombardement aérien, ni ne permet de distinguer de projectile terminer sa course sur l’hôpital. Les images montrent toutefois que dans la minute qui précède l’explosion, des projectiles sont tirés de Gaza en direction d’Israël, vers le nord.
L’impact dans l’enceinte de l’hôpital
Le lendemain, mercredi 18 octobre, des photos et vidéos montrent les conséquences de l’explosion. Sur le parking de l’hôpital, plus d’une dizaine de voitures sont calcinées, dont quelques-unes presque entièrement détruites. De nombreux vêtements, sacs et affaires personnelles sont visibles sur une partie de la pelouse. Surtout, un cratère de moins d’un mètre de diamètre est creusé dans le sol.
Une taille qui correspond à une faible charge explosive ou à un choc cinétique important, mais pas à un bombardement aérien israélien classique. Pour Justin Bronk, analyste militaire et chercheur spécialisé en aéronautique à RUSI, cela ne correspond en tout cas pas « aux bombes standard de la série JDAM/Mk80 de l’armée de l’air israélienne »
Un bilan humain difficile à confirmer
L’explosion a fait au moins 471 morts, selon le ministère de la santé du Hamas. Impossible, pour le moment, de vérifier cette information de manière indépendante. Une vidéo tournée de nuit et authentifiée par Le Monde montre toutefois des corps sur la pelouse de la cour de l’hôpital, vraisemblablement quelques instants après l’explosion. Au moins 15 personnes sans vie sont visibles, dont quatre enfants en bas âge.
A la date du 19 octobre, aucune trace probante du ou des projectiles ayant pu causer cette explosion n’était disponible.