Au tout début, c’était une sorte de pis-aller. Petit à petit, le pis-aller s’est transformé en règle et la règle en concept politique. Ce que les factions libanaises recherchaient à tout prix, c’était le consensus. Pour chaque question, de la plus futile à la plus sérieuse, il leur fallait impérativement l’accord unanime, sinon c’était la paralysie ou la guerre civile.
C’est ainsi qu’est née la « démocratie consensuelle », la plus monumentale des inepties politiques. Les Libanais, qui ne ratent pas une occasion sans mettre en avant leur extraordinaire « ingéniosité », croient ainsi avoir trouvé la panacée à leurs maux endémiques. Comble du délire, certains de leurs politiques osent encore proposer cette ânerie comme modèle universel pour résoudre les conflits interconfessionnels ou interethniques.
Tout le monde peut mesurer aujourd’hui les conséquences absurdes de ce travestissement de la politique. En adoptant le consensus comme méthode de gouvernement, la classe politique a tout simplement décidé de suspendre la démocratie et d’accélérer la destruction de l’État. Les notions même de majorité et de minorité n’existent plus. Si l’on donne à la minorité le droit d’imposer sa loi à une majorité élue, à quoi bon organiser des élections ? Ce ne sont plus les règles élémentaires de la démocratie qui sont ainsi bafouées, mais celles du simple bon sens. Au sommet de l’État ne règnent désormais que l’absurde et le grotesque !
Qui porte la responsabilité de cette dérive ? En premier lieu, c’est le parti khomeyniste dont l’existence même est antinomique avec l’existence de l’État. À force d’obstruction et d’intimidation, il a fini par arracher son droit de veto au gouvernement. Mais l’erreur fatale a bien été commise par la majorité parlementaire, qui en signant l’accord de Doha a tout simplement abdiqué le pouvoir et pavé la voie à la formation d’un gouvernement hybride dont le seul rôle consiste désormais à gérer la paralysie nationale.
Le parti khomeyniste libanais ne renoncera à son droit de veto au gouvernement que dans un seul cas, sa victoire aux prochaines élections. Et, au train où vont les choses, on ne voit pas comment la majorité actuelle (qui n’a plus de majorité que le nom) pourra l’en empêcher. N’y a-t-elle pas déjà contribué elle-même en lui offrant sur un plateau d’argent une loi électorale sur mesure ?
L’équation devient du coup assez limpide. Si les élections ont lieu à la date prévue, et si le parti khomeyniste réussit avec ses alliés à obtenir la majorité, la minorité de blocage au gouvernement sera définitivement abolie, d’abord parce qu’il n’en aura plus besoin, ensuite et surtout pour empêcher la nouvelle minorité de profiter de ce qu’il avait lui-même arraché par la force. Il lui suffira alors de brandir une constitution dont il avait fait un torchon et qu’il s’empressera de restaurer dans toute son intégrité pour les besoins de sa « juste cause ». On trouve là l’essence même des organisations totalitaires: la démocratie parlementaire n’est valable que lorsqu’elles prennent le pouvoir. Les précédents hitlérien, fasciste et khomeyniste sont des exemples d’une clarté aveuglante !
La « démocratie consensuelle » a été inventée par les factions libanaises pour maîtriser leurs peurs et empêcher la guerre civile. Elle n’a fait qu’attiser la haine, renforcer les clivages et préparer le terrain aux nouvelles explosions. Au lieu du consensus recherché, c’est l’étreinte fatale qui pointe à l’horizon.