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Comment la Russie est devenue la « nouvelle vassale » de l’empire du Milieu

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EN NOVEMBRE dernier, la marque automobile Moskvitch lançait en grande pompe son crossover urbain, le Mosk­vitch 3. Une prouesse, ce modèle « national » étant le premier à sortir de l’ex-usine Renault de Moscou depuis que la firme française, peu après l’invasion de l’Ukraine, avait vendu ses parts majoritaires dans le constructeur russe AvtoVAZ et quitté le pays. Sauf qu’un reportage de la chaîne de télévision spécialisée dans l’automobile, Za rouliom (« Au volant »), allait dévoiler peu après la véritable nature de cette voiture « purement russe ». En fait, le véhicule étant entièrement fabriqué et même assemblé en Chine, seul le rajout, in fine, de quelques composants basiques permettait de le labelliser « made in Russia »… Confuses, les autorités avaient alors promis une voiture « 100 % russe »… en 2025.

 

En attendant, l’histoire illustre l’emprise grandissante de la Chine sur l’économie russe depuis le début de l’« opération militaire spéciale » en Ukraine. Un phénomène qui devrait aller en s’accentuant, analysent les spécialistes des relations Chine-Russie, tel Alexander Gabuev, de l’Institut Carnegie qui, dans un article de la revue Foreign Affairs, qualifiait récemment la Russie de « nouvelle vassale » de l’empire du Milieu. Le marché russe de l’automobile, en chute libre depuis un an, est révélateur : la part des voitures chinoises en Russie s’élevait à 7 % en 2021 contre 18 % fin 2022 et certains spécialistes comme le distributeur Andreï Olkhovsky n’excluent pas une progression des ventes de 60 % cette année. L’exemple des voitures chinoises, certes spécifique, éclaire le déséquilibre qui se crée entre les deux pays et que Pékin compte bien exploiter à son avantage.

C’est qu’entre ces deux-là, qui se regardent en chiens de faïence depuis des siècles, l’« amitié sans limite », vantée dans les déclarations officielles, n’est que de façade. Leurs relations sont avant tout dictées par des intérêts dans un contexte où les marges de manœuvre russes ont été sérieusement limitées depuis le 24 février. « La guerre en Ukraine a coupé la Russie du monde occidental », rappelle Alexander Gabuev, l’un des meilleurs spécialistes russes de la géopolitique chinoise. « Entravés par les sanctions, dénoncés par les médias internationaux, ostracisés des grands événements culturels globaux, les Russes se sentent de plus en plus seuls. Le Kremlin ne peut compter que sur un soutien majeur : la Chine », analyse l’expert. Mais, ajoute-t-il, entre les deux pays existe « une asymétrie qui est vouée à s’accentuer au cours des prochaines années, à mesure que le régime de Poutine dépendra davantage de la Chine pour sa survie ».

Elle est loin, l’époque où, avant même la rupture sino-soviétique du début des années 1950, l’URSS considérait la jeune Chine communiste de Mao avec condescendance. En décembre 1941, Staline a fait patienter cinq jours le Grand Timonier, à son arrivée à Moscou en train, avant de le recevoir dignement. Aujourd’hui, Vladimir Poutine se prévaut d’une relation personnelle « sincère et amicale ». « N’est-ce pas une joie quand un ami vient de loin ? », écrit le président russe dans l’article publié lundi sous sa signature dans Le Quotidien du peuple. « Mon cher ami », déclarait-il encore dans l’après-midi en accueillant le numéro un chinois, qui réside dans un nouvel hôtel haut de gamme de la capitale russe, Soluxe, construit avec des capitaux chinois et situé dans un vaste parc. « Nous sommes partenaires dans une coopération stratégique globale. C’est ce statut qui détermine qu’il doit y avoir des relations étroites entre nos pays », a déclaré le dirigeant chinois en retrouvant lundi son homologue.

Un très haut diplomate, rencontré par Le Figaro au dernier Forum de Davos, rectifie le tableau idyllique d’un partenariat d’égal à égal. « J’ai participé à plusieurs sommets avec Xi et Poutine. À observer leur langage corporel, on voit qui est le boss dans la relation, et c’est clairement le Chinois », raconte cette personnalité. « Poutine veut avec la Chine une relation équilibrée, “comme des jumeaux”, mais ce n’est pas le cas », affirme Timothy Ash, analyste au cabinet BlueBay, cité par l’AFP. « La Russie n’a pas d’autre choix  que de se tourner vers la Chine », estime-t-il.

On le constate avec le secteur clé des hydrocarbures. Avec les sanctions occidentales, Moscou a opéré un grand virage vers l’est – Inde, mais surtout Chine. L’an dernier, les livraisons de gaz russe à la Chine, 15,5 milliards de mètres cubes via le gazoduc Force de Sibérie, ont bondi de 41 % par rapport à 2021, plaçant la Russie au rang de premier fournisseur de son voisin, devant le Turkménistan et le Qatar. En 2023, les exportations gazières depuis la Russie vers la Chine pourraient atteindre 22 milliards de mètres cubes, soit une progression d’environ 40 %, selon le journal économique Vedomosti. « Cela rend très probable la signature d’un contrat de fourniture pour le gazoduc Force de Sibérie 2 (actuellement au stade de projet, NDLR), ce qui permettrait de vendre à la Chine le gaz des gisements de Sibérie auparavant exporté vers l’Europe », ajoute Vedomosti.

« Pour l’instant, la Russie se contente de vendre au rabais des ressources naturelles à la Chine et d’inviter des entreprises chinoises sur son marché, qui a été libéré des concurrents occidentaux », explique Alexander Gabuev. « À l’avenir, Pékin espère que Moscou sera prêt à coopérer sur toutes les questions intéressant la Chine, aux conditions chinoises », poursuit l’expert. Selon lui, « pour satisfaire la Chine, les dirigeants russes n’auront d’autre choix que d’accepter des termes de négociations commerciales défavorables ». « La dépendance du Kremlin à l’égard de la Chine va ainsi transformer la Russie en instrument utile au pouvoir chinois, en formidable atout pour Pékin dans sa compétition avec Washington », va jusqu’à affirmer Gabuev.

Cette subordination économique place un puissant levier de pression dans les mains de Pékin : avec la capacité de « débrancher » 70 % des revenus de Rosneft, géant russe des hydrocarbures, la Chine pourrait être en mesure de dicter ses conditions politiques ou d’obtenir des Russes certains projets convoités de longue date, comme l’ouverture d’une base militaire en Arctique… Le yuan est en bonne place parmi les instruments de l’influence chinoise auprès de son voisin. Ainsi, pour la première fois, le mois dernier, la monnaie chinoise a dépassé le dollar en termes de transactions à la Bourse de Moscou, et représente désormais 40 % des échanges.

Pour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou, « la violence des sanctions occidentales sur la Russie affecte les relations sino-russes, qui bénéficient certes de la réorientation des flux commerciaux russes et de la reprise en Chine post-Covid mais sont aussi lestés par les sanctions sectorielles euro-américaines ». En quête de leadership, soutenant la Russie mais pas trop, la Chine souhaite visiblement ne pas aller trop loin, pour rester malgré tout connectée au grand rival, le monde occidental. Xi pourrait-il dans ces conditions franchir le Rubicon et promettre des armes à Poutine ? « Pas publiquement, car la Chine nourrit toujours l’espoir de négocier avec les Américains et d’éviter la confrontation avec eux », résume Vassili Kashine, autre expert des relations sino-russes.

LE FIGARO

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