Le carême, qui conduit à la fête de Pâques, a révélé partout dans le pays un engouement inattendu pour la foi de la part d’une nouvelle génération pourtant éloignée de la religion.
Eva Becue, 17 ans, est en classe de terminale dans un lycée de Villepreux (78). Elle sera baptisée au cours de la nuit pascale, ce samedi saint, dans sa paroisse. Quelques jours avant le grand rendez-vous, la jeune fille était à Lourdes, au milieu de 13 500 jeunes des diocèses d’Île-de-France. Ensemble, ils vivaient le « Frat », abréviation de « fraternel », une rencontre organisée dans la cité mariale tous les deux ans pour les lycéens franciliens. « Je suis prête, confie-t-elle à propos de ce baptême tout proche. Je n’attends qu’une chose, c’est d’entrer dans l’avion ! » L’avion ? L’Église catholique, pour cette jeune fille prête à s’élever après avoir mis un genou à terre.
« Il y a deux ans, je n’allais pas bien, ma vie était compliquée. J’ai tout essayé dont la psychologie. Rien n’a marché, je n’allais pas mieux », explique la lycéenne aux longs cheveux bruns. Un matin, tout a changé : « Je me suis réveillée et je me suis dit : “Je veux suivre Jésus. C’est maintenant !” » Elle entre alors dans des églises, achète une bible en bande dessinée, qu’elle dévore, se « renseigne » sur le christianisme sur internet et finit par se rendre compte qu’elle a pas mal d’amis « croyants catholiques ». Ceux-ci l’encouragent à venir à l’aumônerie du lycée. Elle qui n’est pas d’une famille croyante se décide à franchir le pas : « Jésus m’a sauvée. Je voulais apprendre à le connaître. J’ai alors demandé à me préparer au baptême. »
Autour d’Eva, dans la salle à manger de l’hôtel La Solitude, qui porte bien mal son nom ce jour-là, des centaines de jeunes finissent des spaghettis à la bolognaise dans une ambiance de cantine scolaire. À la différence que cet établissement hôtelier est à deux pas de la grotte des apparitions et que le Frat, aussi festif soit-il, est une retraite spirituelle. Après quatre jours à Lourdes, Eva, la jeune catéchumène (du nom des baptisés volontaires, adolescents ou adultes), conclut sans hésitation : « La joie de ce rassemblement m’a confirmée dans ma décision de recevoir le baptême : c’est bon, je suis prête. J’ai connu la dépression. Je me suis accrochée à Jésus. C’est le seul qui tire vers le haut. Je suis heureuse ! »
Ébranlée par les scandales, encore mis en lumière cette semaine par les dernières révélations sur l’abbé Pierre, l’Église de France connaît aussi une actualité heureuse : un phénomène d’adhésion massif et volontaire se produit depuis deux ans, au point que l’Église a du mal à gérer l’afflux de demandes de baptêmes d’adolescents et de jeunes adultes.
Quelques chiffres objectifs, tous vérifiables, en donnent la mesure. Ce samedi soir, une fois le grand feu pascal allumé sur les parvis des églises, il y a aura en France 10 384 baptêmes d’adultes. Il y en avait 5 423 en 2023. À ce chiffre s’ajoute celui des baptêmes d’adolescents entre 12 et 18 ans, comme celui d’Eva, qui connaissent une progression encore plus spectaculaire : ils étaient 2 953 en 2023, ils seront 7 404 en 2025. 17 788 adolescents et adultes seront ainsi baptisés, à leur demande, dans l’Église catholique cette année. Ce phénomène est certes lié à la chute drastique des baptêmes à la naissance – un enfant sur deux en l’an 2000, un sur trois en 2024 -, mais rien n’oblige aujourd’hui ces ados et ces adultes à pousser les portes des églises.
Autre indice : les évêques de France, réunis à Lourdes en assemblée de printemps début avril, ont tous, sans exception, noté une affluence record pour la messe des Cendres ouvrant le carême il y a quarante jours. Viceprésident de la conférence épiscopale, Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours, racontait avec des étoiles dans les yeux, comme beaucoup de ses confrères : « J’avais devant moi une cathédrale pleine à craquer avec plus de 1 000 jeunes de moins de 30 ans que nous ne connaissions pas et dont nous ne savions pas comment ils étaient arrivés là. »
Ancien recteur de l’Institut catholique de Lyon, aujourd’hui président recteur délégué de l’Institut catholique de Lille, docteur en théologie, le père Thierry Magnin relate, pour sa part : « 1 400 jeunes se sont présentés aux deux célébrations des Cendres organisées par l’université. Un bon nombre est venu à la procession de communion les bras croisés, signe qu’ils sont néophytes et n’ont pas fait leur première communion. La fréquentation était au moins 30 % supérieure en 2025 par rapport aux années précédentes. Ce fut une grande joie d’être témoin de cette quête spirituelle forte. » Le diocèse aux armées, sous la conduite de Mgr Antoine de Romanet, qui organise un pèlerinage à Lourdes du 16 au 18 mai prochain, voit lui aussi ses inscriptions « bondir de 30 % cette année, avec près de 7 000 inscrits et 200 baptêmes prévus, alors que la moitié des participants ont entre 18 et 30 ans. »
Autre exemple, avec 12 000 inscrits en 2022, 16 000 en 2023, 18 000 en 2024, le pèlerinage de Chartres prévu en juin prochain, de sensibilité traditionaliste, a dû suspendre les inscriptions pendant une semaine, quelques jours seulement après leur ouverture pour l’édition 2025, le temps d’absorber une affluence record des demandes « deux à trois fois supérieures à celles de 2024 » selon l’organisation. Enfin, autre indice convergent, les inscriptions au Frat de Lourdes ont augmenté de 55 % en deux ans pour atteindre 13 500 jeunes cette année. « C’est la capacité de l’immense église souterraine de Lourdes, la basilique Saint-Pie-X, et la capacité hôtelière de la ville qui nous ont contraints de bloquer les inscriptions. Sans cela, nous aurions pu rassembler 20 000 jeunes », garantit le père Gaultier de Chaillé, responsable du Frat, épuisé mais heureux à la fin de ces intenses journées lourdaises.
Comment expliquer ce qui n’est pas un « réveil » – cela supposerait que les jeunes chrétiens se seraient endormis – mais un « éveil » spirituel inédit dans l’Église de France ? Un éveil accompagné par une quête insatiable de spiritualité constate le père Gaultier de Chaillé, comme beaucoup de prêtres présents : « Cette génération, qui n’est jamais en silence, attend du silence. Le silence de la prière intérieure ne lui fait pas peur. » Il reconnaît que la proposition liturgique du Frat s’est adaptée : « On est passé du crypto-catho, où il ne fallait pas trop parler de Dieu, au catho cash, explicite ! C’est ce que veulent les jeunes. »
De fait, il fallait « entendre », mardi soir, après une entrée en matière très rock, le silence qui s’est imposé lors de l’entrée d’un ostensoir, porteur d’une large hostie consacrée, dans la basilique, ouvrant un long temps d’adoration conduit par Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre. « Ils sont une génération très identitaire, sans arrière-pensées, explique le père Gaultier de Chaillé. Dans les lycées, ils sont face à l’affirmation sereine des jeunes musulmans qui n’hésitent pas à dire : “Je suis musulman”, ce qui les place maintenant face à leurs propres racines chrétiennes. Et l’indifférentisme religieux de leurs parents leur donne, paradoxalement, la possibilité d’une adhésion choisie, mûrie, très personnelle. »
Ambroise Gambotti, 16 ans, élève d’un lycée de Saint-Gemain-en-Laye, confirme : « On vit dans une société où la religion est de plus en plus présente. Cela nous permet de poser des choix libres et individuels. » Son ami Romain d’Ersu, 17 ans, scolarisé dans un lycée public, assure : « J’ai des amis musulmans qui savent que je suis chrétien. On parle de nos points communs, mais on s’explique sur nos différences. La religion est acceptée, ce n’est plus du tout un sujet tabou. »
Curieux, tout de même, que ces nouveaux jeunes catholiques fleurissent sans qu’aucune promotion particulière n’ait été réalisée par l’Église pour les attirer et alors que les scandales d’abus sexuels ont tout d’un repoussoir.
Née avec ces affaires, cette génération n’y est pas indifférente, mais elle fait la part des choses entre la foi et l’institution. Issus d’une même aumônerie près de Créteil, Tyvan Emono, 16 ans, d’origine africaine, Tanita Aubrée, 17 ans, dont les deux parents sont des chrétiens évangéliques et qui a demandé le baptême dans l’Église catholique, et Léa Magnol-Bouzy, 16 ans, bouclent leurs bagages avant de remonter en Île-de-France. « Ces scandales ne gênent pas ma foi, confie cette dernière. Il y a des gens bons et des gens mauvais dans tous les domaines. »
Tyvan ajoute : « Dans ces scandales, ce n’est pas la religion qui est le problème, ce sont les personnes qui abusent en utilisant la religion. Ces affaires ne sont pas à cause de la religion, il y a du bien et du mal partout, ce ne sont pas des bons exemples. » Sophie Lazzarin, leur accompagnatrice, reconnaît : « Les jeunes n’en parlent jamais. Les générations précédentes sont davantage interpellées par ces scandales. » Que se passe-t-il donc sur la planète catho ? Clément Bluteau, 28 ans, a animé le Frat avec son groupe Be Witness (« soyez des témoins ») et leur musique de rock chrétien, tonique et limpide en termes de louanges et d’évangélisation. La bande connaît un vrai succès, avec un agenda de concerts quasi complet jusqu’en mai 2026. Au contact régulier de cette nouvelle jeunesse catholique qui connaît ses chansons par cœur, Clément Bluteau explique : « Contrairement à la génération précédente, qui a pu être dégoûtée par l’Église, ces jeunes n’ont plus aucun a priori, tout simplement parce qu’ils n’ont rien reçu. Il n’y a même plus la grand-mère à qui on faisait plaisir en baptisant les petits. Ils n’ont eu aucun catéchisme. Nous sommes comme les premiers chrétiens face à des gens qui ne connaissent pas Jésus. On voit Dieu à l’œuvre qui donne le feu à des jeunes qui n’ont plus peur de dire qu’ils croient en Jésus ! »
Sœur Bernadette, 86 ans, est la franciscaine qui a été reconnue 70e miraculée de Lourdes en 2018 pour une guérison inexpliquée du syndrome paralysant de la « queue de cheval » dix ans plus tôt. Parmi les invités du Frat, elle a témoigné devant quatre groupes de plus de 3 000 jeunes. « J’ai déclenché un tonnerre d’applaudissements quand j’ai dit pourquoi j’étais contre l’euthanasie, s’enthousiasme-t-elle. Car rien n’est jamais perdu, une vie aussi cabossée qu’elle soit, Dieu peut toujours la retourner, jusqu’à la fin ! » Cette religieuse passe une bonne partie de sa vie à rencontrer des jeunes dans toute la France. Elle est frappée par l’atmosphère de violence dans laquelle baigne cette jeune génération : « On ne réalise pas combien ils ont déjà une vie heurtée par la violence, à l’école, dans leur famille, vous n’imaginez pas les confidences que je reçois… Face à cette violence, les jeunes ont besoin de se raccrocher à l’essentiel. Isolés, ils cherchent une fraternité. Perdus, ils cherchent un sens à leur vie. Depuis deux à trois ans, je sens des jeunes qui ont soif, soif de prière, soif de Dieu. »
Jeune prêtre en baskets et en soutane, aumônier de jeunes de la paroisse Saint-Pierre-de-Montrouge dans le 14e arrondissement de Paris, le père Martin de Laubadère confirme : « Il y a une immense quête de sens chez les jeunes, qui, pour beaucoup, trouvent Dieu en se cherchant eux-mêmes, mais c’est Dieu qui les trouve. Ce réveil ou cet éveil vient de Dieu, et non de ce que l’Église a pu faire. La moitié des cinquante jeunes de mon groupe sont arrivés dans l’Église par leurs amis, qui osent leur parler de la foi. Il y a un décalage entre les sommations du monde – “Achetez, consommez !” – et ce qui se passe sur les réseaux sociaux, où la question religieuse s’est imposée, alors qu’elle est récusée dans l’espace public. Il apparaît que les jeunes ont besoin de silence, de cœur à cœur avec Dieu. »
Il marche vite pour ne pas être en retard. Évêque auxiliaire de Paris, Mgr Philippe Marsset va animer dans quelques minutes la session finale du Frat devant les 13 500 jeunes. « J’ai l’habitude de prêcher, mais reconnaissez que c’est impressionnant », glisse-t-il. Surtout, il confirme : « 8 % à 10 % des jeunes rassemblés ici se préparent au baptême ou ne sont pas chrétiens. C’est considérable. Cela veut dire que nos réseaux cathos sont dépassés par les réseaux sociaux. Tout cela est rapide, il y a un effet boule de neige. Mais il y a une raison plus spirituelle, que saint Paul avait développée : “Là où le péché abonde, la grâce surabonde.” Notre Église, indigne des scandales que l’on découvre, fait cette expérience que la grâce du Seigneur est plus importante, plus féconde que le péché. C’est un peu une résurrection après une mort.