DÉCRYPTAGE
L’Addyi, version féminine du Viagra, vient d’obtenir le feu vert de l’agence américaine du médicament. Examen d’un comprimé qui fait râler.
Depuis dix-sept ans, il y a le Viagra pour ceux qui font le coup de la panne. Voici maintenant Addyi, son pendant féminin qui se pique de réveiller la libido de celles à qui le sexe inspire surtout des «mouais», «bof», «pas le temps», «pas envie», «la flemme», «fatiguée», «pas ce soir», «plus tard», sans oublier la très éculée «migraine».
Retoquée en 2010 et en 2013, Addyi, petite pilule aussi rose que celle du Viagra est bleue, vient d’obtenir le feu vert de l’agence américaine du médicament, la Food and Drug Administration (FDA). Cette dernière s’est cette fois résolue à suivre les recommandations d’un comité consultatif d’experts qui, en juin, avait voté en faveur de sa commercialisation par 18 voix contre 6. Cette autorisation «fournit aux femmes souffrant d’un faible désir sexuel une option de traitement», a sobrement justifié la docteure Janet Woodcock, directrice du centre d’évaluation et de recherche sur les médicaments de la FDA.
L’intense lobbying de la firme Sprout Pharmaceuticals a-t-il fini par payer ? Les requêtes de plusieurs groupes féministes, qui n’ont pas manqué de traiter la Food and Drug Administration de vieille institution machiste en revendiquant le droit des femmes au plaisir (donc au désir), ont-elles porté ? Le médicament ne présente-t-il finalement pas tant d’effets secondaires que ça ?
A quelques semaines de la mise en vente de la pilule rose, le 17 octobre aux Etats-Unis (à un prix pas encore fixé), décorticage d’un comprimé qui en promet. Comme à l’accoutumée, il devrait nous arriver dans un an et demi et, qui sait, faire oublier le triste succès médiatique de l’ouvrage Les femmes s’emmerdent au lit (1) .
Une pilule miracle ?
Addyi s’adresse aux femmes non ménopausées souffrant d’une libido défaillante depuis un certain temps. Une notion critiquée par certains, car difficile à diagnostiquer, et qui a été baptisée «trouble sexuel hypoactif». Le comprimé, à prendre chaque soir au moment du coucher, repose sur une molécule, la flibansérine, dont les effets aphrodisiaques ont été découverts par hasard, alors qu’elle était testée comme antidépresseur.
Au départ, c’est un laboratoire allemand, Boehringer Ingelheim, qui s’est intéressé aux vertus de la flibansérine. Mais il a fini par céder son produit à Sprout en 2011, après le premier refus de mise sur le marché par la FDA.
En fait, la très usitée comparaison avec le Viagra, son cousin masculin garant de performances, est assez peu pertinente : là où la pilule bleue agit sur un problème mécanique vasculaire temporaire (l’érection), ce nouveau médicament joue sur les émotions. Car, à en croire le sexologue Jacques Waynberg, «la sexualité féminine n’est pas une affaire d’organe, mais de cerveau». C’est donc la région frontale du cerveau que vise la flibansérine, en jouant sur deux substances chimiques appelées neuromédiateurs : la dopamine (accélérateur d’émotions, pour simplifier), qu’elle va booster, et la sérotonine (à effets ralentisseurs), qu’elle va modérer. A l’arrivée, un équilibre chimique «facilite en quelque sorte la disposition à être excitée», explique le sexologue.
Le désir à quel prix ?
«Les patientes et les médecins doivent être pleinement conscients des risques liés à ce médicament avant de décider de le prendre», prévient la docteure Janet Woodcock, de la FDA. L’administration demande ainsi au laboratoire de stipuler clairement ces risques sur la notice du médicament : importante chute de la tension artérielle, somnolence, nausées, syncopes… autant de tue l’amour. Ces risques peuvent être accrus par la consommation d’alcool (pourtant souvent utilisé comme stimulant) ou la prise de certains autres médicaments.
En outre, la Food and Drug Administration recommande d’arrêter le traitement si la patiente ne constate pas d’effets après huit semaines. A deux reprises, le rapport bénéfices-risques n’a pas convaincu l’agence, qui craignait des impacts négatifs sur la vie quotidienne des concernées. Côté bénéfices, 10 % des participantes aux trois derniers essais cliniques ont remarqué une amélioration de leur désir et une baisse de leur angoisse, sans toutefois évoquer un impact sur leurs performances concrètes pendant l’acte. Selon l’une des testeuses retrouvée par le New York Times, la différence d’appétit sexuel se ressent sur la longueur. Au total : 4,4 expériences sexuelles satisfaisantes en moyenne par mois, contre 2,7 avant Addyi.
Qui milite pour ?
Le principal soutien de cette molécule est un groupe appelé Even the Score. Son argument ? La dénonciation d’un certain sexisme. Sur son site, voilà plus d’un an qu’Even the Score souligne que les hommes disposent du Viagra depuis 1998 et que la FDA a approuvé la commercialisation d’une vingtaine de médicaments similaires, contre zéro pour les femmes. «Il est temps de parvenir à l’égalité en matière de traitements liés à la sexualité», scande le collectif, qui a recueilli 60 000 signatures sur sa pétition en faveur d’Addyi. En l’occurrence, un lobby très actif, qui regroupe des militants(e)s féministes, des organisations à but non lucratif comme la Women’s Health Foundation, l’Association des professionnels de la santé reproductive ou encore l’Institut pour la médecine sexuelle.
Mais surtout, Even the Score est activement soutenu et en partie financé par le laboratoire Sprout, qui s’apprête à commercialiser la pilule du désir, et d’autres comme Palatin Technologies et Trimel Pharmaceuticals, eux aussi impliqués dans la recherche sur ce type de médicaments. Leur campagne a aussi reçu le soutien de membres du Congrès. Quatre d’entre eux, républicains et démocrates, ont cosigné une lettre ouverte à la FDA en janvier. Dans un communiqué, Even the Score a salué cette semaine la «décision historique» de la FDA, et dit espérer qu’elle ouvre la voie à la commercialisation d’autres traitements des troubles sexuels des femmes.
A cent lieues de ce genre de lobby, mais ardent défenseur de davantage de décontraction sur les questions de désir et de plaisir, le gynécologue français Sylvain Minoun (2) qualifie le feu vert accordé à Addyi de «bonne nouvelle». «Oui, nous attendons ce médicament. Le manque de désir est le trouble sexuel numéro 1 chez la femme. Quand elles s’en plaignent dans mon cabinet, que faire ? Leur dire que c’est dans la tête et laisser tomber ? Sans attendre de miracle ou de résultats aussi scientifiquement évidents que quand on soigne un cancer, je suis satisfait. Pour celles qui sont en inhibition totale, un rapport de temps en temps ça change tout. Et puis, si c’est oui pour Addyi, d’autres médicaments suivront.»
Qui coince ?
«Nous parlons d’un aphrodisiaque médiocre ayant des effets secondaires terrifiants», a durement bataillé la docteure Adriane Fugh-Berman, représentante de l’ONG Pharmed Out et professeure à l’université de Georgetown. «Si la FDA autorise ce médicament après l’avoir refusé deux fois, alors qu’aucune preuve supplémentaire de son efficacité n’a été apportée, c’est que la décision résulte d’une forte pression exercée par une campagne de communication», déplore-t-elle. Elle aurait largement préféré que «seuls des arguments scientifiques» aient emporté le morceau.
Mais la plus farouche opposante (du moins la plus médiatisée) à la pilule rose est sans conteste la psychologue Leonore Tiefer de l’Université de New York. «Une honte», assène-t-elle partout dans la presse. Outrée que des féministes se servent de l’argument de l’égalité entre hommes et femmes pour réclamer un médicament, quand selon elle, l’absence de désir serait plutôt à chercher dans la tête. Et aussi – et surtout – dans la nature des relations de la femme avec son partenaire. Au total, une accusation en règle de tous ceux (en particulier le laboratoire Sprout) qui cherchent à «médicaliser le sexe». Le docteur Jacques Waynberg, sexologue, estime pour sa part que ce médicament «ne respecte pas l’univers opaque de l’érotisme féminin. La solution à la baisse de désir ne peut pas être exclusivement chimique», martèle-t-il, en prônant plutôt, lui aussi, «l’analyse des éléments contre-productifs au désir dans le couple».
Et les hommes là-dedans ?
La gent masculine doit-elle redouter (ou espérer) les futurs assauts de femmes dopées à Addyi ? De la même façon que lors du lancement du Viagra, certains ont redouté que l’homme perde tout contrôle, et se mue en King Kong en rut, la crainte est que la femme (cette mère en puissance), à son tour, ne s’excite un peu trop. Pfff. Un tableau vite balayé par le gynécologue Sylvain Mimoun, qui constate que «fantasmes, idées reçues, religion» entourent systématiquement ce qui touche à la sexualité, et affirme haut et fort que «les hommes sont très demandeurs de femmes demandeuses». Pour lui, l’affaire est au fond assez simple : «Cette pilule doit être vue comme une simple béquille qui permet de réapprendre à marcher. Tout comme le Viagra pour les hommes. C’est un levier pour débloquer une situation. Sentir que son corps n’est pas mort, lui réapprendre. Et tout le monde a à y gagner, les femmes comme les hommes. De la même manière que le Viagra a permis aux hommes qui étaient jusque-là obnubilés par leur problème d’érection de mieux s’occuper de leur partenaire.»
Jacques Waynberg, farouchement opposé à cette pilule, a, lui, une vision nettement plus pessimiste. A l’en croire, il se pourrait que «des hommes applaudissent. Mais on risque de robotiser les femmes pour qu’elles aient envie de sexe. Et celles qui consulteront pour des troubles sexuels hypoactifs viendront-elles de leur plein gré ou poussées par leur mari ou une certaine représentation de la performance ?»Qui sait ? Et qui sait aussi ce que donneront bientôt les ébats de Monsieur Viagra et Madame Addyi ?
(1) De Sonia Feertchak, éd. Albin Michel, mai 2015.
(2) Auteur, avec Rica Etienne, de Côté cœur, côté sexe, éd.Albin Michel, 2014.