Par Lucile Wassermann
Pour le quotidien américain, les attentats récemment revendiqués par l’EI en Egypte, au Liban puis en France, témoignent d’un changement de stratégie du mouvement terroriste. Bien coordonnées, ces attaques seraient « dirigées depuis la Syrie ». Le véritable instigateur de ces opérations ne serait autre qu’Abou Mohamed Al-Adnani, sans qu’on sache s’il joue un rôle de donneur d’ordres ou de planificateur.
L’homme fait désormais partie des terroristes les plus recherchés par les Etats-Unis. En août 2014, il avait été désigné par le département d’Etat comme « terroriste mondial » et figure depuis sur la liste officielle américaine antiterroriste « Rewards for Justice », qui promet la somme de 5 millions de dollars (4,6 millions d’euros) pour tout renseignement permettant sa capture. Le 14 décembre, CNN l’a désigné comme le responsable le plus recherché par les Etats-Unis au sein du mouvement djihadiste, devant même Abou Bakr Al-Baghdadi, chef de l’EI et calife autoproclamé.
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Une personnalité d’« ermite soufi »
Le 29 juin 2014, c’est bien la voix d’Abou Mohamed Al-Adnani qui avait proclamé le califat et le nouveau nom de l’organisation, qui n’entendait plus se limiter à l’Irak et à la Syrie : « Lors d’une réunion, la choura [assemblée] de l’Etat islamique a décidé d’annoncer l’établissement du califat islamique. » Depuis, ses nombreux enregistrements audio rythment les déclarations du « califat ». Le 22 septembre 2014, Al-Adnani avait ainsi publié un message radiodiffusé de 42 minutes dans lequel il encourageait les attaques en Occident :
« Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen – en particulier les méchants et sales Français – ou un Australien ou un Canadien ou tout incroyant (…), dont les citoyens de pays qui sont entrés dans une coalition contre l’Etat islamique, alors comptez sur Allah et tuez-le de n’importe quelle manière. »
Pour David Thomson, journaliste à RFI et spécialiste du djihadisme, ce message est le premier appel explicite de l’EI au djihad contre la France.
Dès lors, bien connu des services de renseignements américains et européens, Abou Mohammed Al-Adnani pourrait être aujourd’hui à la tête d’un véritable département en charge des « opérations extérieures » de l’EI. Le New York Times révèle ainsi que de nombreux activistes étrangers travailleraient sous la direction de cet homme, figure de longue date de la mouvance djihadiste.
Né en 1977 en Syrie, Al-Adnani n’était a priori pas destiné à devenir l’orateur consacré du mouvement djihadiste. De son vrai nom Taha Fallaha, ce jeune Syrien avait, selon ses proches interrogés par le journal britannique en arabe Al-Araby Al-Jadid, la personnalité introvertie d’un « ermite soufi ». Ouvrier dans le bâtiment dans la bourgade de Binnish, au milieu de la province d’Idlib, il disparaît en 1998. Son entourage le croit alors mort.
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« L’un des premiers combattants étrangers »
On perd sa trace jusqu’en 2003, date à laquelle il réapparaît en Irak, peu après l’invasion américaine. Selon le département d’Etat, Al-Adnani est « l’un des premiers combattants étrangers à s’opposer aux forces de la coalition en Irak », dès la mi-2003. Il prête à cette époque allégeance à celui que l’on considère comme le véritable fondateur et maître à penser de l’EI, Abou Moussab Al-Zarkaoui, ancien leader de ce qui était alors la branche irakienne d’Al-Qaida, tué dans un raid aérien américain en juin 2006.
En 2005, Al-Adnani est capturé par les forces américaines dans la province d’Al-Anbar, l’un des bastions de l’insurrection sunnite, sous le faux nom de Yasser Khalaf Nazal Al-Rawi. Lors de son incarcération, il est détenu dans le tristement célèbre camp Bucca, une prison gérée par l’armée américaine dans le sud de l’Irak, par laquelle sont passés plusieurs futurs hauts dirigeants de l’EI.
Comme beaucoup d’autres djihadistes, c’est ici qu’Al-Adnani a rencontré l’homme qu’il présentera quelques années plus tard comme le nouveau « calife » des musulmans, Abou Bakr Al-Baghdadi.
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Relâché en 2010, Abou Mohamed Al-Adnani rentre alors en Syrie. Il réapparaît dans son village natal. Le changement est brutal pour son entourage qui le croyait mort : vêtu à l’afghane et ne s’exprimant plus qu’en arabe littéraire, Taha Fallaha n’existe plus que sous son nom djihadiste d’Abou Mohammed Al-Adnani. Il répand alors l’idéologie d’Al-Qaida dans sa région d’origine.
La Syrie ne va pas tarder à être ébranlée par un soulèvement populaire contre le régime de Bachar Al-Assad, qui éclate en mars 2011 dans la foulée des révolutions arabes. L’activiste en profite pour renouer avec ses anciens compagnons d’armes irakiens.
Une « biographie » d’Abou Mohamed Al-Adnani à des fins de propagande a été publiée le 1er novembre 2014 sur Internet par un membre de l’EI. Elle dresse un portrait bien éloigné de celui peint par ses proches. Décrit comme un homme instruit ayant grandi dans l’amour de la religion, il serait un fin connaisseur du Coran et du droit islamique. Al-Adnani aurait ainsi été un enseignant, permettant « l’éducation et l’enseignement des moudjahidine ».
Auteur de nombreux textes et poèmes religieux, il est désigné dans ce document comme un « cheikh », titre réservé aux érudits dans l’islam. Si aucune allusion n’est faite à un rôle supposé dans les opérations extérieures du groupuscule, cette biographie partisane fait bien état de son statut de porte-parole officiel de l’EI.
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