A Idlib, l’offensive du régime syrien piétine

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Les forces de Bachar Al-Assad bénéficient du soutien de l’aviation russe, tandis que l’Iran s’abstient de participer à la reprise du dernier fief rebelle

 

La victoire finale du régime Assad sur la rébellion syrienne devra attendre. L’offensive lancée par les troupes loyalistes à la fin avril contre la poche d’Idlib, la dernière possession des insurgés, dans le coin nord-ouest du pays, s’est enlisée. En dépit du soutien aérien que la Russie leur offre, les forces pro-gouvernementales ne sont pas parvenues à faire reculer significativement leurs adversaires.

Emmenés par les djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham, la force dominante dans cette région de 3 millions d’habitants, les rebelles n’ont perdu qu’une seule ville, Qalaat Al-Maadiq, et une poignée de villages sans importance stratégique. L’enclave d’Idlib, qui devait être le dernier domino rebelle à tomber dans l’escarcelle du régime, après Homs en juillet 2014, Alep-Est en décembre 2016, la Ghouta en avril 2018 et Deraa en juillet 2018, manifeste une résistance inattendue pour l’instant.

« Ce qui se passe sur le terrain est à l’opposé des prédictions du pouvoir, expose Nawar Oliver, analyste au centre d’études Omran, basé en Turquie, qui est proche de l’opposition syrienne. En trois mois de combats, les pro-Assad n’ont regagné qu’environ 80 km2, l’équivalent de 2 % de la superficie du bastion rebelle d’Idlib. Compte tenu du nombre et de la violence des raids conduits chaque jour par l’aviation russe, c’est un résultat médiocre. »

Ce piétinement est d’autant plus cuisant pour Damas qu’il s’accompagne d’un niveau de pertes inhabituellement élevé. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, l’une des nombreuses ONG qui tient la comptabilité du conflit, le nombre de combattants pro-régime tués depuis le début de l’assaut, fin avril, s’élève à 904, un chiffre sensiblement similaire au bilan des morts côté rebelles (963).

Non content de résister aux coups de boutoir des assaillants, les insurgés ont réussi à enfoncer leurs lignes à plusieurs reprises, dans des attaques éclairs, faisant de nombreuses victimes. Ce faisant, les défenseurs d’Idlib ont érodé l’aura d’invincibilité des unités d’élite qui mènent l’offensive, notamment les Forces du Tigre, du colonel Souhaïl Al-Hassan, un officier adulé par les partisans du régime.

Pourtant, les chasseurs-bombardiers russes et syriens, fidèles à la tactique éprouvée durant la reprise d’Alep et de la Ghouta, ont tout fait pour anéantir l’esprit de résistance de la population. Selon le Réseau syrien des droits de l’homme (RSDH), ces appareils ont ciblé, en onze semaines de pilonnage, pas moins de 31 installations de secouristes, 37 centres médicaux et 81 écoles.

Ces raids ont poussé 300 000 habitants à se réfugier dans le nord de la province, le long de la frontière turque, une zone pour l’instant épargnée par les frappes. Les attaques aériennes ont aussi coûté la vie à 606 civils, dont 157 enfants, affirme le RSDH, une ONG proche de l’opposition, en lien avec les agences de l’ONU. L’une des dernières en date a visé mardi 16 juillet le marché du village de Ma’ar Chourine. Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent une dizaine de cadavres carbonisés, gisant dans les rues de cette localité.

« Traitement de choc »

« Si ce traitement de choc n’a pas eu le même résultat qu’à Alep et dans la Ghouta, où les habitants, à bout de force, ont poussé les combattants à baisser les armes, c’est pour deux raisons principalement,avance Ossama Shorbaji, directeur d’une ONG qui opère dans la province d’Idlib. Tout d’abord, cette région est moins densément peuplée, la population peut toujours échapper aux bombardements en partant vers le nord. Mais surtout, les gens sont conscients que si Idlib tombe, c’est véritablement la fin. Ils n’auront plus aucune solution de repli, contrairement aux combattants d’Alep et de la Ghouta qui ont pu être transférés à Idlib. »

L’échec de l’offensive loyaliste s’explique aussi par le fait que l’Iran, autre protecteur du régime Assad, n’a pas jugé bon d’y participer. Les milices chiites à la solde de Téhéran, comme le Hezbollah libanais, la brigade irakienne Abou Fadl Al-Abbas et la brigade afghane Fatimiyoun, avaient joué un rôle-clé, ces dernières années, dans les opérations de reconquête du régime, en compensant le manque de bras de l’armée régulière, saignée par les défections et les morts.

Mais ces fantassins sont cette fois-ci restés à l’écart des combats. Un choix lié au peu d’intérêt que la région d’Idlib possède pour la République islamique ainsi qu’à la situation très compliquée qui est la sienne sur la scène internationale. Il est probable que Téhéran, déjà accablé par les sanctions américaines, n’ait pas voulu accroître encore la pression sur ses épaules. Il est possible aussi que le régime iranien ait veillé à ne pas braquer le président turc, Recep Tayyip Erdogan, dans l’espoir qu’il l’aide à contourner le blocus économique, imposé par l’administration Trump.

La Turquie, qui avait pris ses distances, ses deux dernières années, avec les factions rebelles d’Idlib, a resserré les rangs avec elles. De peur qu’une avancée des troupes loyalistes n’incitent des centaines de milliers de Syriens à chercher un abri sur son sol, où vivent déjà 3 millions de réfugiés, Ankara a ravitaillé les insurgés en armes, notamment en missiles antichars. « La Turquie sait très bien que si Idlib tombe, la zone tampon qu’elle a mise en place plus au nord, où elle espère réinstaller les réfugiés et qui lui sert à tenir à distance les Kurdes syriens, s’effrondrera aussi », affirme Ossama Shorbaji.

La réunion, le 1er et le 2 août, à Noursoultan, le nouveau nom de la capitale du Kazakhstan, des trois partenaires du processus d’Astana – Russie, Iran, Turquie – permettra peut-être d’amorcer une désescalade. Beaucoup d’observateurs s’attendent, à court ou moyen terme, à une réactivation du cessez-le-feu qui avait été conclu en septembre 2018 et dont les violations régulières, par les deux parties, avaient précipité l’offensive d’avril. Le sort d’Idlib, pomme de discorde internationale, sera autant tranché sur le champ de bataille qu’à la table des négociations entre Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine, le maître du Kremlin.

 

LE MONDE

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