L’ancien conseiller de Khomeini, passé à l’opposition, estime que la contestation actuelle, partie des classes populaires. est plus profonde qu’en 2009.
Par Laure Mandeville
Après avoir été proche de l’ayatollah Khomeini et avoir été l’un des fondateurs du corps des gardiens de la révolution, Mohsen Sazegara, 62ans, a basculé dans l’opposition démocratique au régime des mollahs. Il vit aujourd’hui en exil aux États-Unis. Selon lui, les forces armées pourraient rallier le peuple si la répression frappe aujourd’hui trop fort en Iran. Sur place, d’importantes forces de sécurité ont été déployées, ramenant un calme apparent depuis le milieu de la semaine.
LE FIGARO. – Quel est le sens de la révolte qui s’est allumée à travers toutes les provinces d’Iran ?
Mohsen SAZEGARA. – Nous nous attendions à une implosion de ce genre en Iran, mais pas aussi vite, pas avant deux ans. Nous avons essayé d’être prêts en termes de programme et pour aider à structurer le mouvement, mais tout s’est allumé en deux jours. Je ne suis pas surpris car le système économique de ce régime est en train de s’effondrer. Mais pourquoi la mèche s’est-elle allumée si vite, personne ne le sait vraiment. Tout a commencé par une manifestation à Mashhad organisée devant la mairie par une organisation locale qui voulait protester contre les prix trop élevés. Je connais les gens qui ont lancé cette invitation, ils attendaient quelques centaines de personnes et des milliers sont venus ! Ils se sont mis à crier « Mort au dictateur», et 24 heures plus tard, les manifestations s’étendaient à tout l’Iran, toutes les villes se sont mises en grève, partout ! Ce mouvement est le mouvement des petites villes et des campagnes, c’est une première. Le régime essaie de garder Téhéran sous contrôle pour montrer que tout va bien. Les gardes révolutionnaires et les milices bassidjis représentent une force de 450000 hommes qui peuvent être déployés sur le terrain. Mais ils en ont concentré 200000 dans les grands centres urbains. Le problème est qu’ils ne peuvent contrôler le reste. Je suis iranien mais je vois poindre des manifestations dans des villes dont je ne connaissais pas le nom et que je suis incapable de placer sur la carte ! Les gens sont en colère !
Sont-ils en colère pour des seules raisons économiques ou également politiques ?
Les gens ont faim, ils sont pauvres. Ils sont également furieux de la corruption des dirigeants du pays, des gardiens de la révolution qui contrôlent à eux seuls 50 % du PNB du pays et possèdent des milliers d’entreprises et de banques. Ils montrent une vraie haine de ce régime. Le Mouvement vert de 2009 était constitué des classes moyennes supérieures, qui voulaient le droit au vote. Mais cette fois-ci, ce sont les pauvres, les chômeurs, les classes moyennes et populaires qui se rebellent. Dans son Manifeste, Marx parlait du prolétariat qui n’avait plus rien à perdre sauf ses chaînes. En Iran, les pauvres n’ont même plus de chaînes à voler. Pour cette raison, ce mouvement s’appelle la Révolution nationale iranienne et crie : « l’Iran d’abord!» Les protestataires disent non à Gaza, non à l’engagement en Syrie, au Yémen et au Liban. La politique étrangère de ce mouvement est très claire : on ne veut plus dépenser pour les autres pays. Rendez-nous l’argent. Je dirais que d’une certaine manière, cela ressemble à la Révolution française. C’est pour cela qu’ils brûlent les portraits du Guide et disent qu’il mérite la mort. La troisième demande clé de la révolte, c’est un référendum sur le maintien de la République islamique. Il y a trente-huit ans, Khomeini avait organisé un référendum semblable et les gens avaient voté oui ! Mais maintenant, ils ont vu ce qu’il en était. Je pense que si ce référendum avait lieu, 94 % des gens diraient non à la République islamique.
C’est donc aussi pour vous un rejet de la théocratie ?
Exactement. Les gens veulent une démocratie sécularisée. Comment ils y arriveront ? À travers la désobéissance civile et en essayant de faire passer l’armée de leur côté. Tout le monde sait que les forces armées détestent ce régime et les gardiens de la révolution. Or l’armée est trois fois plus grande que ces derniers. Tôt ou tard, les forces armées rejoindront le peuple. Déjà aujourd’hui, nous savons que beaucoup de militaires vont aux manifestations, en civil. Certaines de mes sources m’ont dit avant-hier que, dans beaucoup de garnisons, les gardiens de la révolution contrôlent les dépôts d’armes parce qu’ils ne font pas confiance aux militaires et pensent qu’ils pourraient distribuer des armes.
Cette grogne militaire concerne-t-elle aussi les généraux ?
Je ne sais pas car les échelons supérieurs sont souvent liés aux gardiens de la révolution, mais le corps militaire au niveau des colonels ou des capitaines est avec le peuple. Leurs salaires sont bas, ils sont pauvres, ils ne sont pas corrompus, ils n’interviennent pas en politique et croient au nationalisme, pas à l’idéologie religieuse. Les gens leur font confiance car ils n’ont pas fait de mal au peuple contrairement aux gardiens de la révolution et aux milices bassidjis. C’est donc un gros casse-tête pour le régime qui doit faire face au peuple tout en surveillant l’armée. Même chose avec la police, qui, dans de nombreux cas, laisse les gens faire ce qu’ils veulent dans les petites villes, comme le montrent de nombreuses vidéos. Je pense que le pouvoir va essayer de contrôler tout ça, en diminuant l’accès à Internet notamment. Il va dire que tout est normal, mais pour moi, cette Révolution ne va pas s’arrêter.
« Le président Trump est assez imprévisible mais pour l’instant, il réagit très bien. (…) En 2009,
par comparaison, Obama n’a rien fait pour le peuple iranien qui scandait nom» son MOHSEN SAZEGARA
Le régime peut faire comme en 2009 : réprimer…
C’est vrai mais, en 2009, la révolution ne s’est pas étendue au-delà des classes supérieures des grandes villes. De plus, les leaders, Mousavi et Kharoubi, voulaient réformer le régime, pas le changer. Aujourd’hui, c’est très différent. L’expansion du mouvement est fantastique. De plus, les classes populaires ont fait surface : tous ces millions de chômeurs éduqués qui n’ont pas de travail notamment.
Que pensez-vous de la réponse de Donald Trump à cette situation ?
Le président est assez imprévisible mais pour l’instant, il réagit très bien. Les généraux qui sont autour de lui, comme Mattis, se sont battus en Irak, ils connaissent la réalité de l’Iran. En 2009, par comparaison, Obama n’a rien fait pour le peuple iranien qui scandait son nom. Nous sommes allés trouver ses conseillers pour leur demander de soutenir le Mouvement vert, mais il s’est tu ! Et nous avons réalisé ensuite qu’il envoyait des lettres au leader de l’Iran, pour essayer d’avoir un accord stratégique avec lui ! Je suis très sévère pour Obama.