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Monsieur le Président,
Permettez d’abord au citoyen libanais que je suis de saluer la sollicitude constante de la France envers le Liban, une sollicitude qui puise ses racines dans une histoire commune, faite de liens indéfectibles et d’un attachement partagé aux idéaux de liberté, de justice et de souveraineté.
Ce rôle, souvent celui d’un frère aîné, vous avez cherché à le perpétuer depuis votre premier mandat, notamment dans les moments les plus critiques de notre histoire récente, y compris lors de votre visite au lendemain de l’attentat du 4 Août – même si, Monsieur le Président, vous n’y aviez vu à l’époque qu’un « incident », comme, du reste, l’ensemble d’une communauté internationale soucieuse de continuer à entretenir d’excellentes relations avec l’ensemble des protagonistes régionaux.
Mais Monsieur le Président, cette visite annoncée au Liban le 17 janvier s’inscrit dans un contexte où vos intentions, bien que louables en apparence, résonnent avec une dissonance criante.
Vous venez à Beyrouth peu après une élection présidentielle et une désignation ministérielle qui doivent bien plus à une conjonction d’efforts saoudo-américains qu’à l’action française – du reste remerciée. Cette dynamique a permis de contrer l’hégémonie iranienne sur le Liban et de redonner une lueur d’espoir aux forces vives de notre pays.
Pourtant, vous avez choisi, à maintes reprises, depuis le début de votre premier mandat, de maintenir le dialogue, directement ou indirectement, avec des acteurs comme le régime Assad et le Hezbollah, sous couvert d’un pragmatisme géopolitique, qui, au lieu de desserrer l’étau sur notre pays, l’a souvent resserré.
La diplomatie nécessite certes ce genre de démarches réalistes, mais elle est évaluée, in fine, au regard de sa finalité : préservation de l’ordre établi par intérêt personnel et « raison d’État » seulement, ou tentative de pousser aussi vers un changement soucieux de la volonté des peuples ?
Nul n’oublie que, lors de votre dernier passage à Beyrouth, vous aviez dénoncé le blocage effectué par le Hezbollah, essentiellement, face à la tentative française de pousser vers un gouvernement de mission dirigé par le diplomate Moustapha Adib. Mais vous aviez également appelé à l’établissement d’un nouveau contrat social qui aurait, au vu des rapports de force de l’époque, plongé le Liban dans un avenir encore plus sordide, alors que tout ce dont le Liban a besoin, c’est que sa Constitution actuelle soit fermement appliquée pour que le régime démocratique parlementaire fonctionne de nouveau – loin du despotisme des armes et de l’impérialisme iranien.
Il ne s’agit pas de nier la nécessité de préserver des équilibres nationaux ou de garantir une représentation de la communauté chiite dans un Liban pluraliste. Au contraire. Mais préserver ne signifie pas ressusciter l’hégémonie d’un acteur qui, par la terreur et la mainmise sur des institutions – ainsi que sur sa propre communauté ! – a conduit le Liban au bord de l’abîme. Que faut-il comprendre de votre insistance à soutenir des figures de l’ordre ancien, tel Najib Mikati, si ce n’est un désir obstiné de maintenir un statu quo insoutenable ?
Monsieur le Président, votre propre trajectoire politique est aujourd’hui minée par des crises de légitimité successives. Comment prétendre à un rôle de médiateur au Proche-Orient, alors que les fondements mêmes de votre autorité sont ébranlés chez vous ?
Le Liban, Monsieur le Président, ne peut plus être le théâtre d’expérimentations diplomatiques, ni l’enjeu de calculs qui ignorent les aspirations légitimes de son peuple à la dignité, à la justice et à la souveraineté. Ce peuple, laminé par la crise, n’attend pas des promesses, mais des actes concrets.
Ainsi, si la France souhaite réellement aider le Liban, qu’elle le fasse avec la clarté et le courage de ses idéaux, non en perpétuant les logiques de compromis qui renflouent les oppresseurs. Et si vous cherchez à redorer le rôle de la France dans notre région, commencez, Monsieur le Président, par régler la fracture politique qui déchire votre propre nation.
Le Liban vous accueillera toujours en ami. Cette lettre n’en est que l’expression, celle d’un ami qui s’adresse à vous, en toute dignité et respect, mais, surtout, avec toute la franchise que supposent les vraies relations d’amitié.”
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les meilleurs,
Michel HAJJI GEORGIOU