Célèbre militant de gauche, le pédiatre Alaa Shukrallah est membre de l’Initiative égyptienne contre les discriminations, ONG de défense des droits de l’homme.
Pourquoi cette recrudescence des violences communautaires dans l’Egypte post-Moubarak ?
On peut parler à la fois de violences spontanées et de manipulation politique. Les dissensions entre chrétiens et musulmans existent depuis longtemps et l’angoisse des coptes augmente dans un contexte d’insécurité généralisée. Cela fait près de quarante ans que le régime égyptien attise les sentiments sectaires, au moment où un discours islamiste fondamentaliste se répand dans la région. Mais les faits prouvent que cette violence est aussi organisée, alors que la révolution a été un mouvement spontané.
Pourquoi les généraux au pouvoir auraient-ils intérêt à déstabiliser le pays ?
Des forces au sein de la clique au pouvoir utilisent de tels incidents pour casser le mouvement révolutionnaire, qui n’est pas satisfait par le processus actuel et demande plus de réformes. Ces affrontements peuvent être exploités pour diviser la rue égyptienne et pousser le jeune musulman moyen à soutenir une reprise en main des activités politiques par les forces de l’ordre. Des gouvernements étrangers ont aussi un intérêt à ce que le chaos se répande, notamment l’Arabie saoudite. Celle-ci finance à coups de millions de livres égyptiennes des groupes salafistes ouvertement hostiles aux coptes, qui ont participé aux affrontements.
Lutter contre les discriminations anticoptes doit-il être une priorité ?
C’est urgent. Il faut les autoriser à construire des églises sans avoir besoin d’un décret présidentiel, supprimer la mention de la religion sur les cartes d’identité, qui est une source de discrimination dans l’accès à l’emploi. Rétablir aussi une réciprocité dans les conversions (les chrétiens peuvent se convertir à l’islam, mais l’inverse est interdit par la loi). Seule une démocratie véritable peut nous permettre d’échapper à la violence communautaire.
Quel rôle joue l’Eglise copte ?
Le pape Chenouda a toujours recherché la protection du régime en place. Lors de la révolution, il n’a pas pris position en faveur des révolutionnaires, et les coptes n’étaient pas présents en masse dans les manifestations, contrairement aux chrétiens anglicans. Mais Moubarak jouait un jeu pervers qui consistait à se présenter comme le protecteur des coptes tout en attisant la violence sectaire quand il se sentait menacé.
Propos recueillis par C. T.