REPORTAGE – Malgré le pilonnage quotidien des soldats du Guide, les habitants de la ville refusent de partir.
Soudain, son visage rond apparaît sur l’écran de l’ordinateur portable. «Ici, Misrata!» annonce fièrement Mohammed, 46 ans. Il y a quelques jours, cet homme d’affaires est enfin parvenu à se reconnecter à l’Internet grâce à l’installation d’un petit satellite par un voisin de quartier. Assiégée depuis plus d’un mois par les forces pro-Kadhafi, sa ville est une véritable prison à ciel ouvert, où résonne l’écho incessant des tirs de canon et des sirènes d’ambulance. Face au pilonnage incessant infligé à la population, l’Otan a annoncé jeudi avoir fait de Misrata sa «priorité numéro un».
«Impossible d’appeler Tripoli. Impossible de sortir dans la rue sans courir le risque d’être la cible d’un sniper, ou de se retrouver au centre d’un échange de tirs entre l’armée et les rebelles. Et puis, gare à celui qui cherche à quitter Misrata. Au premier poste de contrôle, c’est un homme mort!» nous confie Mohammed, lors d’une conversation établie par le biais de Skype -les autorités libyennes interdisant aux journalistes présents à Tripoli de se rendre dans cette cité située à 200 kilomètres à l’est de la capitale.
Dimanche 3 avril, Mohammed a bien failli céder à la tentation d’embarquer avec son second fils, Hassan, blessé en pleine rue, à bord d’un ferry de Médecins sans frontières -le deuxième bateau humanitaire du week-end à avoir évacué des dizaines de blessés de Misrata. Et puis, les deux hommes y ont finalement renoncé. «Notre ville, c’est notre famille! Nous résisterons jusqu’au bout!» s’exclame Mohammed.
Derrière lui, un jeune homme frêle vient de faire son apparition. C’est Hassan, 19 ans, appuyé sur ses béquilles. Il veut témoigner: «Le 20 mars, j’étais allé apporter à manger aux insurgés. Ils étaient postés place Nasser, où ils tentaient de faire barrage contre une énième incursion de l’armée libyenne en centre-ville. Un tank s’est mis à tirer. J’ai été touché à la jambe gauche. À l’hôpital, on m’a aussitôt amputé.»
Combats de rue
Son expérience l’a étonnamment rendu plus déterminé que jamais. «J’ai vu la mort de près. Je n’ai plus rien à perdre. J’ai des amis qui ont été tués dans les combats. Le régime a tué des familles entières, des femmes, des enfants…. Un vrai massacre… Alors, une jambe de plus ou de moins, ça n’a pas d’importance», dit-il.
Selon un bilan provisoire, établi par un comité médical de Misrata, au moins 211 civils auraient perdu la vie en l’espace d’un mois. À l’hôpital principal, cible d’attaques régulières, les chambres continuent à crouler sous le poids des nouveaux blessés, au gré des combats de rue qui se poursuivent quotidiennement. Si l’aide humanitaire va permettre de soulager les habitants de Misrata, Mohammed tient à saluer «la solidarité inédite» de la population. «Depuis quarante et un ans que Kadhafi est au pouvoir, on n’a jamais vu ça», dit-il.
Interrompue pendant plusieurs jours, au pic des combats, l’alimentation en électricité et en eau a ainsi pu être rétablie grâce au concours d’ingénieurs indépendants. «Pour dépanner la ville, et les hôpitaux, un homme d’affaires a même mis gracieusement 200 générateurs à la disposition de la population de Misrata», précise-t-il. Nombreuses sont les familles qui, comme lui, ont également ouvert leurs portes à celles qui fuyaient les tirs d’artillerie lourde, dans les quartiers les plus «chauds» de la capitale.
«On s’organise comme on peut. Pendant que les hommes font la tournée des quartiers, à la recherche d’un magasin encore ouvert, les épouses préparent à manger. Les enfants, eux, ne vont plus à l’école depuis un mois. Pour leur faire oublier la guerre, on les met des dessins animés, raconte Mohammed. Avec le temps, on a fini par accepter de vivre avec la peur. Sinon, on ne vit plus», concède-t-il.