Écoutant la déclaration de Mme Marie-Claude Najm, ministre de la Justice, à propos de la descente intempestive de Mme le Procureur Général du Mont-Liban, Ghada Aoun, dans les bureaux de la société Mkattaf, je me suis rappelé ce que disait Wittgenstein : « Ce qui ne peut être dit, doit être tu ».
L’intention ici n’est pas de défendre la société Mkattaf face au Parquet. Que tous les corrompus et les corrupteurs reçoivent leur châtiment. Cependant, il aurait mieux valu que le Professeur de droit, Marie-Claude Najm, s’abstienne de donner l’impression de réduire l’affaire Ghada Aoun à un contentieux entre cette dernière et son supérieur hiérarchique Ghassan Oueidate, Procureur Général de la Cour de Cassation. En tant que ministre de la justice, elle se doit de veiller à la cohésion du corps rigoureusement hiérarchisé que constitue le Parquet et ses magistrats dits « debout ». C’est pourquoi, il aurait été plus judicieux qu’elle ne laisse pas croire ne pas être concernée par une telle crise au sein de l’institution du Parquet que préside le magistrat Oueidate.
Si, pour une raison de force majeure, la ministre n’est pas en mesure de veiller à la cohésion interne de la magistrature, il aurait été préférable qu’elle s’abstienne de toute déclaration tout en déployant tous les efforts possibles, mais discrets, afin d’éviter que la Justice ne soit instrumentalisée au service du crime.
Ici, le vocable « crime » renvoie au non-respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire tant par le pouvoir exécutif lui-même que par les forces politiques qui ont fait main basse sur l’État et les ressources du pays grâce à la collusion d’une milice armée qui protège un réseau du crime organisé au sein de l’establishment politique. Ce que nous avons vu et entendu, dans l’affaire en question, ne peut se résumer à une bagarre entre deux élèves récalcitrants, Ghada et Ghassan. La ministre de la Justice, éminent professeur de droit, aurait dû protéger sa propre image de marque ainsi que celle de cette justice qui est l’objet même de son enseignement académique de qualité.
Aujourd’hui, l’État de droit n’est plus au Liban. Il a été assassiné par ceux qui ont la charge de veiller sur le respect de la Loi. La situation est plus que grave. Elle est désespérée. Chaque citoyen est en danger. Ses droits fondamentaux risquent, à tout moment, d’être violés par la magistrature elle-même, emportée par la crise de manie furieuse du populisme vulgaire et plébéien. « Berytus Nutrix Legum », cette « Beyrouth-Nourricière-des-Lois » est aujourd’hui réduite à être une copie fanée de la contre-justice, une justice hors-la-loi à l’image de celle pratiquée en Chine sous la dictature de la « bande des quatre ». L’histoire n’a pas oublié l’épopée de l’impératrice rouge, Jian Qing épouse de Mao Zedong à laquelle Madame le Procureur Ghada Aoun n’a pas grand-chose à envier.
Un tel scandale de procédure pourra-t-il entraîner un sursaut salutaire qui permettra l’émergence d’un leadership capable de faire le grand ménage ? Il est clair aujourd’hui que toutes les voies constitutionnelles sont bloquées. Former un gouvernement de mission est utopique. Saad Hariri, le premier ministre désigné, n’est pas l’homme de la situation ; de même que Michel Aoun, le président en exercice, devrait quitter ses fonctions sans plus tarder comme en 1990, ainsi que Nabih Berry. La guerre entre ces leaders a déjà coûté trop cher et profite uniquement au Hezbollah qui se frotte les mains en voyant ses « obligés » se crêper le chignon. Cela lui permet de poursuivre tranquillement ses activités criminelles.
Une phase de transition est indispensable. Le Liban a besoin d’une période de convalescence, loin de toute lutte politicienne, afin de nettoyer toute la crasse accumulée. Un pouvoir temporaire restreint devrait être mis en place sous une ombrelle internationale. Une fois le grand ménage terminé, on peut songer à reprendre une vie publique normale. La phase de transition doit pouvoir consolider l’autonomie souveraine du territoire national, grâce aux résolutions de l’ONU (1559-1680-1701), ainsi que de réformer les institutions, d’implanter une vraie justice indépendante et surtout de mettre fin au féodalisme tribal et barbare de la vie politique.
En attendant d’entreprendre un tel ménage, le calvaire de la population libanaise se poursuivra. Nos enfants et petits enfants auront largement le temps de nous maudire, s’il reste encore un Liban.
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