Les propos récents du chef de l’État sur la stratégie de défense, liant celle-ci aux contingences régionales, accentuent les soupçons des milieux souverainistes sur un parti pris de Baabda en faveur du Hezbollah.
Le président de la République, Michel Aoun, avait indiqué lundi que « tous les critères à prendre en compte pour l’élaboration de cette stratégie, même les zones d’influence, ont changé ».
De nombreux observateurs ont vu dans ces propos le signe d’un report sine die du dialogue sur la stratégie de défense qui est censée porter, entre autres, sur les armes illégales, notamment l’arsenal du Hezbollah. Ces propos ont pu être interprétés par des milieux souverainistes comme une couverture institutionnelle à cet arsenal, à un moment où le Hezbollah en a particulièrement besoin. Outre les sanctions américaines contre le parti chiite, Washington fait pression sur les pays d’Amérique latine pour qu’ils l’inscrivent sur leur liste des organisations terroristes. Dans ce contexte, la position de Baabda sur la stratégie de défense renvoie un message sur une volonté officielle d’investir le Hezbollah de la mission de lutter contre le terrorisme, après qu’il a réussi à expulser les groupuscules jihadistes du jurd de Ersal. Couvrir ainsi le Hezbollah anticiperait en outre la résolution du litige relatif au tracé des frontières maritime et terrestre avec Israël, qui ôterait le cas échéant aux armes du Hezbollah l’essentiel de leur raison d’être.
C’est précisément à cette fin que l’administration Trump ferait pression sur Israël pour faciliter la délimitation des frontières, à en croire des sources diplomatiques occidentales. Il y aurait d’ailleurs chez cette administration une volonté d’éradiquer les embranchements militaires du « terrorisme chiite » en provenance d’Iran, aussi farouche que sa volonté de mettre fin au jihadisme sunnite de l’État islamique. Selon les sources diplomatiques citées, la réunion trilatérale entre les conseillers à la Sécurité nationale d’Israël, des États-Unis et de la Russie qui s’est tenue à la fin du mois de juin en Israël a évoqué l’enjeu de mettre fin à la présence iranienne dans son ensemble. C’est la raison pour laquelle, disent ces milieux, Israël bombarde les positions stratégiques et dépôts d’armes des pasdaran et du Hezbollah en Syrie, et élargit le rayon de ses raids pour atteindre des sites-clés du Hachd al-Chaabi (Unités de la mobilisation populaire) irakien. Il est clair qu’Israël bénéficie d’une couverture américaine et d’un laisser-faire russe. Si l’administration Trump a hâte d’en finir avec la présence d’armes illégales télécommandées par Téhéran dans la région, cela devrait faciliter les négociations de solutions régionales en affaiblissant l’élément iranien.
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Les manœuvres de l’armée dans le jurd de Aqoura en juillet dernier, en présence de son commandant en chef, le général Joseph Aoun, et de l’ambassadrice des États-Unis, Elizabeth Richard, ont permis de mettre en avant les capacités de l’armée, son niveau d’entraînement et, pour reprendre les termes du général Aoun, son aptitude à « faire face à tous les défis, que ce soit au niveau des frontières ou à l’intérieur du territoire ». Cette manœuvre se basait sur la simulation d’une attaque terroriste.
Au lendemain des propos du chef de l’État sur la stratégie de défense, le palais présidentiel a publié une mise au point précisant que « le chef de l’État ne faisait que décrire une situation de fait, dix ans après que le sujet a été soulevé en congrès de dialogue national », et que « le chef de l’État se considère toujours tenu par les positions antérieures en matière de défense stratégique, et par la nécessité de les examiner dans un climat consensuel ».
Cette clarification est restée peu convaincante, pour le moins insuffisante aux yeux des milieux souverainistes, qui disent craindre les retombées de tels propos sur la souveraineté du Liban et le moral de la troupe, mais aussi sur l’appui international à la stabilité du pays. Cet appui, qui a pris forme notamment dans la conférence dite
CEDRE, risque de se perdre, si bien que des milieux économiques appréhendent le scénario dans lequel les États donateurs en viendraient à lier leur aide économique à l’élaboration d’une stratégie de défense, la création d’un comité de dialogue national, le respect de la déclaration de Baabda (2012) et la mise en œuvre de la politique de distanciation… que le mandat actuel n’a de cesse de reporter.
*Beyrouth