Dix-huit mois après la promulgation de la loi contre le séparatisme, la secrétaire d’État à la Citoyenneté dévoile en exclusivité le premier bilan d’une lutte qui ne fait que commencer.
LE 2 OCTOBRE 2020, dans son discours des Mureaux, Emmanuel Macron avait déclaré la guerre au repli communautaire. Le Figaro en révèle les premiers résultats.
LE FIGARO. – Dix-huit mois après la promulgation de la loi séparatisme en août 2021, nombre de cités semblent encore gangrenées par l’islam radical. N’avez-vous pas l’impression que les islamistes remportent la bataille sur le terrain ?
Sonia BACKES. – Le discours des Mureaux et la loi séparatisme qui en a découlé nous ont fait changer d’échelle. Jusqu’alors, dans le triangle séparatisme-radicalisation-terrorisme, on se concentrait surtout sur le terrorisme. Nous pouvons à présent nous attaquer à la base du problème. Le séparatisme nourrit les individus radicalisés qui nourrissent le terrorisme. La loi confortant le respect des principes de la République a permis de désinhiber l’administration et de lui donner des outils pour s’attaquer à tout ce qui fait le lit du séparatisme, du financement aux associations, de l’école à la famille ou au web. Il y a un véritable réveil républicain.
La République n’avait pas les outils adaptés pour lutter. Un verrou psychologique et administratif a sauté. Ainsi, depuis le vote de la loi et la prise des décrets d’application, plus de 3 000 contrôles ont été effectués sur le territoire national, 187 établissements ont été fermés temporairement ou définitivement et 8 millions d’euros ont été redressés ou recouvrés. On constate enfin que, dans les mosquées, les prêches radicaux se font plus rares car les islamistes savent qu’ils ne peuvent plus le faire impunément. À partir du moment où il y a de moins en moins de discours frontalement antirépublicains, nous devons aussi évoluer en visant des discours séparatistes plus subtils, des attitudes plus discrètes, mais qui ne sont pas moins dangereux. C’est d’ailleurs une attente de l’immense majorité de nos concitoyens de confession musulmane qui veulent pouvoir vivre sereinement leur foi. La loi a ainsi créé une clause « anti-putsch » qui permet d’éviter le noyautage des associations par des extrémistes. Notre adversaire est l’islam politique. Ce dernier n’a qu’un projet : l’établissement d’un régime théocratique après avoir mis la République à genoux.
En octobre 2020, Emmanuel Macron martelait que « l’école doit redevenir un creuset républicain ». Que fait l’État pour endiguer les extrémistes religieux qui continuent à infiltrer les établissements hors contrat ?
Fille d’immigrés et de professeurs, je suis très attachée à cette question de l’école comme creuset de la nation et comme le lieu où l’on s’adresse aux plus jeunes. Or cette lutte contre le séparatisme ne donnera pas seulement des résultats sur un, deux ou trois ans. Les graines que nous plantons aujourd’hui, nous en verrons les effets dans une génération. Il y a des résultats rapides et très concrets et d’autres seront plus lents comme pour l’école. Ce que l’on a laissé faire pendant trop longtemps nous a amenés au séparatisme, à la radicalisation et au terrorisme. Très concrètement, la loi de 2021 nous a notamment permis de nous attaquer aux établissements hors contrat. Quarante-sept établissements à visée séparatiste ont été contrôlés sans prévenir auparavant leurs responsables. Six ont été fermés définitivement et cinq sont visés par une fermeture temporaire. Je veux insister sur un point : la loi s’attaque à tous les séparatismes et pas seulement à l’islam radical même si l’essentiel des dérives concerne ce dernier. Mais nous avons aussi procédé par exemple à la fermeture d’une école juive intégriste.
Sur quels critères vise-t-on un établissement hors contrat ?
Les quarante-sept établissements contrôlés ont été ciblés après un travail en amont des services de renseignement, des préfectures et du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Les critères relèvent notamment des enseignements prodigués ou de la discrimination apparente entre les sexes. Avec, par exemple, concernant ce dernier point, des fillettes de 6 ans arrivant à l’école voilées de la tête aux pieds, une séparation des filles et des garçons, des dessins sur les murs sans le visage, les yeux, la bouche ou encore des livres se limitant au Coran et à des ouvrages proches de la mouvance fréro-salafiste… Nous contrôlons aussi les contrats de travail ou l’honorabilité des professeurs.
Les cellules départementales de lutte contre l’islamisme radical et le repli communautaire (Clir), créées en 2019, jouent un rôle essentiel en permettant de croiser les informations des différents services de l’administration.
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de mollesse face aux écoles coraniques accueillant les mineurs ?
On peut bien sûr toujours faire mieux et c’est ce que nous souhaitons faire ! Je tiens à souligner que nous ne nous attaquons qu’aux écoles séparatistes. Reste que nous avons des décennies de retard et que nous avons affaire à des structures qui s’appuient parfois sur des soutiens de puissances étrangères avec des fonds colossaux. La loi a été adoptée en août 2021 et les décrets d’application ont été pris courant 2022. Les chiffres que j’évoque concernent donc seulement l’année dernière, certaines actions n’ayant commencé qu’en juillet. Nous avons été très actifs et le ministre de l’Intérieur incite fortement les préfets à agir. Cela prendra du temps mais on est passé d’une forme de déni à la prise en compte de la réalité avec la mobilisation de tout l’appareil de l’État sur une priorité gouvernementale.
En quelques mois, et sur cette seule question des écoles coraniques, quatorze établissements accueillant du public mineur ont été contrôlés et visés par une mesure de fermeture, temporaire ou définitive. C’est ainsi le cas à Montpellier du Centre multiculturel d’Occitanie, qui accueillait illégalement près d’une soixantaine de mineurs, dont les plus jeunes avaient 3 ou 4 ans. Nous devons encore faire évoluer les choses puisque, aujourd’hui, on peut uniquement s’attaquer aux structures séparatistes qui accueillent plus de sept enfants pendant plus de quinze jours. Or nous constatons que les établissements à visée séparatiste s’adaptent : il nous faudra avoir la capacité de viser les plus petites structures.
À l’automne 2021, pas moins de 89 lieux de cultes soupçonnés d’être radicaux avaient été répertoriés par les services de renseignement. Où en êtes-vous dans la lutte contre les mosquées radicales ?
En 2022, sept lieux de culte ont fait l’objet d’une mesure de fermeture temporaire. Ce qui signifie que ces mosquées doivent, au niveau de leur bureau, du conseil d’administration, se débarrasser de leurs responsables qui tiennent des discours radicaux. Cinq associations ou groupements islamistes ont par ailleurs été dissous. Il en a ainsi été à Allonnes, dans la Sarthe, de l’Association allonnaise pour le juste milieu et de l’association Al Qalam, toutes deux salafistes et légitimant les attentats, le recours au djihad armé ou l’instauration de la charia.
Le repli identitaire commence par une salafisation des esprits des plus jeunes, dans l’intimité même des foyers. On a l’impression que l’État est impuissant pour ramener ces mineurs en danger dans le giron de la République…
Nous avons là aussi de nouveaux outils. Notamment pour le contrôle de l’instruction en famille. On avait jusqu’à présent 72 000 demandes annuelles venant de particuliers. Dont 42 000 n’étaient sans doute pas liées au séparatisme car justifiées par des problèmes de santé, la pratique d’un sport, des voyages de longue durée, etc. Mais l’autre partie, soit 30 000 demandes, pouvait être liée à une volonté de proposer aux enfants un autre schéma de pensée que celui de l’école républicaine. On s’est attaqué très fortement à ce phénomène et les résultats sont déjà visibles avec, en 2022, une baisse significative de 29 % du nombre d’enfants instruits en famille. Et on est passé globalement de 72 000 à 58 000 demandes par an. On va encore accentuer cet effort en systématisant notamment les contrôles surprises.
Nous nous intéressons également à la question du web. 90 % des contenus Google liés à l’islam amènent indirectement à des contenus liés à l’islam radical. Nous avons engagé un dialogue avec des plateformes sur cette question et nous faisons monter en puissance notre unité de contre-discours républicain au sein du CIPDR qui produit des contenus expliquant les risques de la radicalisation. À ma demande, une réunion a eu lieu il y a quelques semaines avec les principales plateformes pour les sensibiliser. Le contact a été fructueux car ces professionnels sont conscients qu’il existe des marges de progression. Et l’idée est de pouvoir travailler avec eux pour contribuer à la formation de leurs modérateurs ou pour qu’ils nous aident davantage face aux contenus toxiques. Leur premier rôle doit être de promouvoir les contre-discours républicains. Non pas, bien sûr, pour imposer une pensée mais pour faire réfléchir et mettre en garde contre la dangerosité des discours islamistes. Nous voulons aussi nouer un partenariat de confiance avec les plateformes pour le retrait rapide de contenus toxiques et le signalement de tels contenus.
L’argent reste, dans la lutte contre le séparatisme comme ailleurs, le nerf de la guerre. Où en est-on dans la traque du financement de l’islam radical ?
Un écosystème séparatiste, islamiste ou autre, ne peut par définition vivre sans argent. Ces mouvements ont utilisé un texte adopté en 2008 sur les fonds de dotation. Un système sans véritable contrôle et permettant notamment de rassembler des fonds privés pour des structures séparatistes. De l’argent pouvant venir de l’étranger, de fidèles plus ou moins fortunés, d’organismes spécifiques comme c’est le cas pour l’islamisme turc. En vertu de la nouvelle loi séparatiste, ces structures peuvent être contrôlées par les préfets et doivent déclarer tout financement étranger de plus de 15 300 euros. Toutes les associations cultuelles doivent par ailleurs nous transmettre leurs comptes. À ce jour, quatre fonds de dotation ont été suspendus et quatre autres sont visés par une procédure de dissolution. Mais nous en sommes au tout début de notre action car l’analyse des comptes va demander du temps. Nous avons d’ailleurs créé au sein du ministère de l’Intérieur un pôle juridique spécifique pour l’analyse et la lutte contre ces fonds de dotation alimentant le séparatisme.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour le faire alors que l’islam radical est connu depuis des décennies et que, selon les services de renseignement, on est passé de 5 000 salafistes en 2004 à 100 000 salafistes et Frères musulmans en 2019 ?
En début de quinquennat, on s’est d’abord attaqué au terrorisme, qui était déjà un problème important, puis on a compris qu’il fallait aussi s’attaquer à ses racines. Et le fait que la France a été malheureusement le pays le plus frappé par le terrorisme djihadiste explique aussi pourquoi aujourd’hui elle est en pointe dans la lutte contre l’islam radical en Europe. Nos voisins européens nous rejoignent d’ailleurs de plus en plus dans ce combat.
Par ailleurs, il y a eu aussi une forme de mauvaise conscience ou une crainte d’être accusé « d’islamophobie ». Ce qui n’est pas le cas puisque nous nous attaquons à tous les séparatismes, à tous ceux qui mènent des actions contre la République et contre l’idée de faire nation.
Jusqu’à l’élection du président Macron, on a été effectivement trop longtemps en réaction et on paie des décennies d’insuffisance. Vous parlez des chiffres des services de renseignement mais on peut aussi parler du voile. En 1989, trois collégiennes se présentaient voilées à Creil et en 2022 des centaines de collégiennes et de collégiens se confrontent à la laïcité à l’école. Les dynamiques séparatistes sont exponentielles. Nous en sommes une nouvelle fois bien conscients et on se donne les moyens pour lutter contre ces dynamiques sans mauvaise conscience. Si l’on utilise les nouveaux outils créés par la loi, et c’est ce que font le ministre de l’Intérieur et les préfets, on pourra prendre les séparatistes en étau.
En vertu d’un clientélisme coupable, certains élus provoquent de graves entorses dans le contrat républicain en permettant le port du burkini dans les piscines. Ne serait-il pas temps de mettre fin à ces pratiques ?
Sur la question du burkini à Grenoble, nous n’avions pas d’outil jusqu’à présent. Le maire de Grenoble a modifié le règlement intérieur des piscines en pensant que personne ne l’empêcherait de le faire. C’est ainsi que, petit à petit, la République recule et que le séparatisme progresse. Le déféré laïcité, introduit par la loi séparatisme, confirmé par le Conseil d’État, a mis fin à cette situation. Cette procédure permet au préfet d’intervenir lorsqu’une décision prise par une collectivité est considérée comme étant contraire au respect du principe de laïcité et de neutralité des services publics. Dans ce cas précis se posait la question de la mixité et de la laïcité. Le préfet de l’Isère a pu tout de suite intervenir. Et le juge administratif doit se prononcer dans les 48 heures. Nous restons vigilants sur cette question du clientélisme. À Grenoble de nouveau, la mairie, dans sa nouvelle campagne de communication, réduit ainsi la femme musulmane au port du voile. Ce qui a valu au maire un message de soutien sur les réseaux sociaux émanant du Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) installé à Bruxelles et directement issu du CCIF dissous après l’assassinat de Samuel Paty… On est là dans une communication d’une grande ville française qui reprend les poncifs de l’islam politique.
On attend toujours les preuves d’un lien quelconque entre l’instruction en famille et la radicalisation, islamiste ou autre. Le rapport de la Degesco n’en parle pas, les renseignements généraux non plus, on a beau chercher depuis deux ans, aucune preuve n’est apportée par l’Etat. Les chiffres baissent, en effet, car les motifs d’autorisation sont devenus très restrictifs, les refus sont arbitraires dans certaines académies (un dossier accepté dans une académie a été accepté dans une autre), beaucoup de familles quittent le territoire, ou passent hors radards, ou entrent en désobéissance civile. A trop contraindre des familles qui avaient toujours respecté… Lire la suite »