Est-ce un tournant dans la révolte ? Ou bien dans la stratégie du régime pour en venir à bout ? L’incendie déclenché dans la nuit de samedi à dimanche à la vaste prison d’Evin, au nord de Téhéran, où sont détenus de nombreux opposants au régime, alimente les interrogations.
Des coups de feu et le bruit d’explosions ont été entendus, alors qu’une épaisse fumée se dégageait d’Evin, selon des images postées sur les réseaux sociaux. Inquiètes pour leurs proches, de nombreuses familles ont cherché à s’approcher du centre pénitentiaire où les slogans anti régime fusaient, comme c’est le cas depuis un mois que l’Iran est secoué par une vague de manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini, une jeune Kurde iranienne qui portait mal son foulard, obligatoire pour les femmes en République islamique. La répression qui s’est ensuivie a entraîné la mort de plus de 150 personnes, selon des ONG.
Dimanche, alors que le calme était revenu autour d’Evin, où sont également détenus des manifestants de ces dernières semaines, les autorités ont annoncé la mort de quatre prisonniers dans l’incendie, qui aurait fait une soixantaine de blessés. Le pouvoir a évoqué « des affrontements » et accusé des « voyous d’avoir incendié un entrepôt de vêtements ».
C’est là que sont emprisonnés la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah et l’Américain Siamak Namazi, que le pourvoir cherche à échanger contre des Iraniens détenus aux États-Unis et en Europe. Des proches de Namazi ont indiqué qu’il avait été transféré loin de l’incendie. Le comité de soutien de Mme Adelkhah a également reçu des « nouvelles rassurantes ».
Certaines sources interrogées par Le Figaro estiment que les autorités seraient à l’origine de cet incendie. « Il s’agit de créer du chaos pour faire peur à la masse des Iraniens qui redoute l’instabilité », confie l’une d’elles, qui a déjà connu de telles scènes en 2009 lors des manifestations consécutives au trucage de l’élection présidentielle. « Evin marque l’entrée dans une nouvelle phase, celle de la reprise en main par le pouvoir », ajoute-t-elle. « Les autorités ont commencé à arrêter massivement, la justice, elle, condamne lourdement, des criminels économiques et de droit commun sont libérés pour faire de la place ; et bientôt, des scènes de pillages vont démarrer, avec des banques et des commerces attaqués par des éléments du système, pour lui permettre d’apparaître comme un rempart au chaos », anticipe cette source.
Nouvelles manifestations
Malgré ce durcissement de la répression, les manifestations continuent. « Les mollahs doivent déguerpir ! », ont scandé des femmes sans voile dans un collège technique de Téhéran. Dans les universités, des jeunes ont manifesté à Téhéran, à Ispahan (Centre) et Kermanchah (Nord-Ouest), tandis qu’à Saqqez, la ville natale de Mahsa Amini au Kurdistan, des grèves ont éclaté.
« L’histoire est loin d’être écrite », ajoute notre source, familière de l’Iran. Le pouvoir a durci sa surveillance du réformiste Mir Hossein Moussavi, placé en résidence surveillée depuis 2009, lorsque le régime lui avait volé sa victoire à la présidentielle. Selon nos informations, les autorités redoutent le scénario d’une marche de dizaines de milliers de manifestants qui le sortiraient par la force de son isolement. Il en serait également ainsi de l’ancien président réformateur Mohammad Khatami, privé de passeport depuis longtemps. « Le pouvoir ne veut pas d’un contre-pouvoir se coalisant avec les manifestants qui, aujourd’hui, n’ont pas de porte-parole politique. »