RUSSIE « Actuellement, le terrain s’assèche déjà, si bien que personne ne doute qu’une offensive ukrainienne débutera dans environ deux semaines. » À l’instar d’Aleksandr Chalenko, chroniqueur du site russe Ukraina.ru (groupe Russia Today), les correspondants militaires et diverses personnalités politiques envisagent à Moscou pour la fin mars-début avril une offensive de Kiev, avec des forces évaluées au total à environ 200 000 hommes. Côté russe, la mobilisation générale ne semble plus envisagée à court terme mais demeure un recours. Officiellement, 300 000 personnes ont été enrôlées depuis la mobilisation partielle lancée le 21 septembre. Les autorités poursuivent la mise à jour des listes pour enclencher rapidement le processus, le cas échéant. Le 1er avril, la campagne de conscription sera lancée, comme chaque printemps, et devrait concerner quelque 130 000 Russes de 18 à 27 ans. Des « pressions » risquent fort de s’exercer sur bon nombre d’entre eux pour qu’ils s’engagent. Jeudi, on apprenait que des vieux chars T-54 et T-55, datant des années 1950, avaient été sortis des hangars…
« L’endroit où l’attaque principale (des Ukrainiens) sera menée n’est pas encore clair », souligne Aleksandr Chalenko, qui cite les témoignages de plusieurs militaires russes identifiés seulement par le surnom. « Là où les Ukrainiens trouveront notre point faible, ils frapperont », estime ainsi un certain « Monomakh ». Parmi les principales hypothèses échafaudées par ces sources, à prendre avec prudence, figurent au moins trois « scénarios ». Tout d’abord, une offensive ukrainienne vers le sud, pour reprendre aux Russes la ville de Melitopol et pousser jusqu’à Berdiansk, sur la mer d’Azov. « L’objectif est ici de fracturer le dispositif russe en séparant les troupes déployées dans les régions de Kherson et de Zaporijjia (dans le centre-est du pays, NDLR) de la “Grande Terre” (la Russie), analyse Aleksandr Chalenko. S’ensuivraient des frappes contre le pont de Kertch et la Crimée elle-même », avance-t-il.
Un officier, répondant à l’indicatif radio « Cruiser » et actuellement sur le front de Zaporijjia, corroborait vendredi cette piste en constatant que « depuis deux jours, l’activité de l’ennemi s’est intensifiée. Auparavant, il économisait ses munitions, maintenant il nous frappe plus activement ». Selon cet officier russe, l’objectif des Ukrainiens est « de détruire nos infrastructures de transport pour empêcher le transfert de nos unités et des munitions vers la première ligne ». Et d’après lui, « pour tenir le coup », il faut « s’attaquer d’urgence à deux problèmes », que ce combattant ne dissimule pas : solidifier les lignes de défense et, vieille rengaine, obtenir des munitions. « Nous manquons de tout », lâche-t-il. Deuxième piste pour l’offensive de printemps : la direction de Vouhledar, théâtre de violents combats où les Russes auraient perdu cent cinquante chars, et de Volnovakha, au sud-ouest de Donetsk. « Il s’agit là encore de couper les forces russes en deux, mais cette fois dans la région de Marioupol », explique le chroniqueur d’Ukraina.ru. Le militaire dont le nom de code est « Monomakh » estime qu’« une offensive sur Vouhledar serait dangereuse car elle permettrait ensuite aux Ukrainiens de prendre Volnovakha, une ville très importante pour nous puisqu’elle permettrait à l’ennemi de couper l’une des deux routes menant à Marioupol ».
« Plusieurs directions à la fois »
Reste un troisième axe pour cette offensive annoncée : Bakhmout, bourgade devenue emblématique de cette guerre, après des mois de combats où les mercenaires de Wagner sont en première ligne. Leur chef, Evgueni Prigogine a fait jeudi sur sa chaîne Telegram un long point de situation sur la ville « contrôlée à 70 % » par ses hommes, « qui poursuivent l’offensive ». « Quatre-vingt mille combattants ukrainiens sont concentrés autour d’Artiomovsk (le nom russe de Bakhmout), affirme-t-il. S’ils mettaient à mal Wagner, ils pourraient avancer dans plusieurs directions à la fois, vers Lyssytchansk (prise par les Russes en juillet dernier), Siversk, Debaltseve, Louhansk, pour tenter de couper les Républiques populaires de Donetsk et Louhansk (DNR et LNR) en deux parties », poursuit le « cuisinier de Poutine » qui s’en prend à ses bêtes noires habituelles du ministère de la Défense. « La bureaucratie militaire est notre fléau », tonne-t-il.
Selon Evgueni Prigogine, les Ukrainiens pourraient aussi tenter de pénétrer en territoire russe, à Belgorod, pour obtenir une monnaie d’échange avec Moscou. Selon Alexander Kots, le correspondant militaire de la Komsomolskaïa Pravda, « il est vital pour Kiev de desserrer l’étau de Bakhmout ». Pour ce spécialiste, c’est là aussi que se joue le sort d’une éventuelle contre-offensive russe, qui ne pourra être lancée, estime-t-il, que si Wagner « interagit activement et harmonieusement » avec le reste de l’armée.