La crise politique que traverse le Liban est alimentée par un tête-à-queue. Depuis le 24 novembre 2007, le trône de Baabda est vacant. Après avoir procédé par élimination (au propre comme au figuré), les différentes tendances politiques du pays sont tombées d’accord sur un nom: Michel Sleimane. Ce général occupera la plus haute fonction du pays. Bien sûr, on simulera une élection au Parlement, mais que les opinions nationale et internationale ne se leurrent pas, c’est bien d’une nomination qu’il s’agit.
Les plus optimistes d’entre nous s’attendaient alors au parachutage de ce militaire à la présidence, ce qui aurait mis fin à la crise. Mais au Liban, faut pas croire, on est joueur. Avec ceux qui invectivent le voisin du sud à la manière iranienne, ceux qui, régulièrement, huent le voisin de l’est en millésimant les printemps de l’espoir, ceux qui ne savent plus quoi balancer comme énormités afin d’occulter leur embarras de ne savoir sur quel pied danser, on ne s’ennuie pas. Et c’est sur fond de ces différents décors mobiles, insufflés par la valse des ministres occidentaux ou autres émissaires arabes, que les responsables libanais tournent en rond et autour des deux buts qu’ils cherchent à atteindre : l’investiture de Sleimane à la tête de l’Etat et former un gouvernement. Ou bien former un gouvernement et nommer Sleimane président. Oui, l’ordre a un sens, et c’est bien sur ce sens que tout se joue.
S’ils sont tous d’accord – et c’est déjà pas mal – sur le nom du futur président, ils sont en revanche encore loin de sceller la composition du gouvernement et sa répartition. Ceux qui veulent aller vite suggèrent d’installer d’abord Sleimane dans ses nouveaux murs puis de se pencher sur le cas des trente portefeuilles. Les autres, en faveur desquels le temps joue, trouvent plus judicieux de s’entendre en premier lieu sur la répartition des trente ministères. Ce qui pousse les uns à menacer de passer en force, déclenchant ainsi le courroux des autres qui brandissent le chantage de ne plus approuver le choix de Sleimane. Et ça s’enlise… Les uns et les autres, ne sachant plus s’ils doivent camper ou revenir sur leurs positions, sont pris dans cet engrenage cadencé par le comptage des reports d’élection. Dix, treize, quinze… Les paris sont ouverts. En tout cas, nous sommes bien partis pour battre les Etats-Unis et la Belgique ! Les Etats-Unis parce qu’il y a 8 ans, lors de l’élection présidentielle américaine (quand Al Gore a failli l’emporter), on s’est tous fendu la gueule en les regardant compter et recompter les bulletins de vote, jour après jour… Les Belges, parce que Wallons et Flamands ont mis six mois pour trouver un terrain d’entente avant de former un gouvernement provisoire.
Aujourd’hui, c’est nous qui sommes la risée de la planète entière avec nos comptes d’épicier pour tenter de résoudre des équations insolubles. La moitié de 30, ça on sait calculer, mais le problème c’est que le résultat ne convient pas. Partant de là, on essaye quelques ruses de sioux à déstabiliser le plus fin des renards : 3 x 10 ! Non, ce n’est pas assez tordu pour plaire à tout le monde. On pimente alors un peu avec le tiers + 1, créant ainsi un deuxième casse-tête avec les 2 tiers – 1. Là le problème c’est qu’il faut commencer à réfléchir. Et réfléchir, chez nos responsables, c’est un programme à moyen, voire à long terme. Sans compter que ce malheureux 1, personne n’aimerait être à sa place car il ne va pas avoir la vie facile…
Voilà donc plus de trois mois que nos responsables réfléchissent. Nous sommes certes encore loin du record belge, mais comme les records sont faits pour être battus et que les Libanais ont toujours été enclins à faire mieux que les autres, fort est à parier que nous allons détrôner la Belgique et l’effacer des tablettes. Résultat de cette réflexion : on va faire dans le gore (Al ?…), on va user du bistouri : pour aboutir à l’éblouissante solution du 14+11+2,5+2,5 proposée dernièrement, il va falloir couper en deux un ministre ! Reste à savoir qui voudra du haut et qui voudra du bas. Le plus drôle c’est qu’on trouve des solutions où il y en a toujours un qui essuie les plâtres : après le 1 que personne n’envie, qui va se dévouer pour ce poste à temps partagé, ou plutôt à corruption partagée ?
Le temps de résoudre ces énigmes, on sera vite le 24 mai, ça fera six mois. Le record belge est en vue, il faut tenir.
rmalek@noos.fr
* Paris