Asma al-Assad, l’épouse du dictateur syrien, a développé la toile affairiste de ses propres réseaux, au point d’être stigmatisée par Washington comme « un des pires profiteurs de guerre » du pays.
La « Lady Di » d’Orient, c’est ainsi que la presse londonienne s’extasiait sur Asma al-Assad, l’épouse du président syrien, lors de leur visite officielle au Royaume-Uni en 2002. Née en 1975 dans une famille syrienne de Londres, élevée dans la banlieue chic d’Aston, diplômée du King’s College, elle était analyste financière à JP Morgan jusqu’à son mariage. La « First Lady » de Damas offrait ainsi au régime syrien une occasion inespérée de ravaler son image, alors que Bachar al-Assad venait de succéder à son père Hafez, maître absolu du pays depuis 1970. L’anglais aristocratique et l’élégance de top model d’Asma al-Assad parait de modernité, voire de sophistication, la seule république dictatoriale à caractère héréditaire du Moyen-Orient. Un déjeuner à l’hôtel Bristol, à Paris en décembre 2010, réunissait les couples Sarkozy et Assad, tandis que « Paris-Match » interviewait Asma (al-Assad) pour mieux la comparer à Carla (Bruni) et Michelle (Obama). Quelques semaines plus tard, le magazine américain « Vogue » dressait le portrait très avantageux de la « rose dans le désert » que serait Asma al-Assad.
LA « PREMIERE DAME » DE LA REPRESSION
Le panégyrique de « Vogue » est publié en ce printemps 2011 où la protestation pacifique contre le régime Assad est sauvagement réprimée. Le magazine américain est contraint d’admettre sa collaboration à une opération de relations publiques du régime syrien, via un coûteux cabinet américain de « communication », et il retire le reportage litigieux de son site. Loin des clichés de la presse people, Asma al-Assad s’avère la digne épouse du despote de Damas. Peu importe que sa famille, de confession sunnite, soit originaire de Homs, elle assiste sans ciller à l’écrasement de cette ville devenue la « capitale de la révolution ». Ceux qui avaient espéré que son union avec Bachar al-Assad tempérerait la férocité d’un régime issu de la communauté alaouite découvrent qu’elle n’est plus qu’un membre, aussi impitoyable que les autres, du clan Assad. L’appartenance confessionnelle, sunnite ou alaouite, importe en effet moins que l’engagement au sein de ce que le regretté Michel Seurat avait qualifié d’ « Etat de barbarie ».
Le quotidien britannique « The Guardian » révèle en mars 2012 des échanges entre Bachar et Asma al-Assad. Elle s’y affaire à acheter sur Internet des escarpins Louboutin et à décorer sa résidence d’été sur la côte syrienne, tandis que son époux ne rate aucun détail de l’étau qui se referme sur Homs (deux journalistes occidentaux, l’Américaine Marie Colvin et le Français Rémi Ochlik, y sont tués dans un bombardement ciblé des forces d’Assad). « Killing and shopping » ( « Tuer et faire du shopping ») titre l’éditorial consacré à ce scandale. L’association « caritative » d’Asma al-Assad, le Syria Trust for Development (STD), qui servait déjà au régime à « encadrer » la société civile, devient maintenant un intermédiaire obligé de l’ONU et de l’Union européenne, contraintes de collaborer avec elle si elles veulent maintenir leurs activités en territoire syrien. Rami Makhlouf, grand argentier du régime et cousin du chef de l’Etat, contribue naturellement au STD, tout comme il finance les milices pro-Assad. La propagande officielle met régulièrement en scène les rencontres de « la Première Dame » (al-sayyida al-ula) avec les blessés, les orphelins et les veuves du camp gouvernemental.
LE JACKPOT DES « CARTES INTELLIGENTES »
En août 2018, la présidence syrienne annonce qu’Asma al-Assad est atteinte d’un cancer du sein. Sa chimiothérapie dans un hôpital militaire de Damas est suivie par les médias officiels, jusqu’à l’annonce, moins d’un an plus tard, de sa pleine et totale guérison. Le retour aux affaires de la « Première Dame » s’accompagne d’une expansion des activités du STD, qui se pose, auprès des bailleurs de fonds internationaux, en partenaire-clef de la « reconstruction » d’un pays dévasté. Asma al-Assad met les compétences acquises dans la City de Londres au service de ses ambitions affairistes. Elle obtient ainsi qu’un de ses cousins contrôle, par le biais de la société Takamol, la distribution des « cartes intelligentes ». Ces cartes ont été introduites en 2014 pour gérer électroniquement la distribution de l’essence et du fuel subventionnés. En février 2020, elles sont étendues aux produits alimentaires de base, ouvrant droit pour chaque famille à un kilo de thé, trois kilos de riz et quatre kilos de sucre subventionnés par mois. Ce système, très critiqué, s’impose à la faveur de l’effondrement du niveau de vie en Syrie, avec 83% de la population officiellement sous la ligne de pauvreté.
Asma al-Assad est en fait parvenue, par ce biais, à prendre le contrôle d’une part non négligeable du commerce d’Etat. La confrontation est dès lors inévitable avec Rami Makhlouf qui, dépouillé d’une partie de sa fortune, ose porter son différend avec le couple présidentiel sur la place publique. Il diffuse également, via ses partenaires russes, la nouvelle de l’achat pour plus de 27 millions d’euros d’une toile de David Hockney par Bachar à Asma. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une intoxication, mais la rumeur se répand comme une traînée de poudre dans la population syrienne, tant la « Première Dame » y est désormais associée à la corruption la plus débridée du régime. Asma al-Assad, pour neutraliser Makhlouf, s’allie à son beau-frère Maher al-Assad, le redouté chef de la garde présidentielle, également très impliqué dans de juteux trafics. La victoire de la « Première Dame » dans ces règlements de compte familiaux a cependant son revers: depuis le mois dernier, elle est ciblée par Washington dans une vague de sanctions contre le régime Assad, le chef de la diplomatie américaine la stigmatisant comme « un des pires profiteurs de guerre » du pays.
L’impressionnante rapacité d’Asma al-Assad et de ses réseaux ne saurait pourtant s’expliquer par la seule logique mafieuse de la clique dirigeante en Syrie. Mère de trois enfants, la « Première Dame » espère aussi, en consolidant son pouvoir propre, assurer l’avenir de son aîné Hafez, âgé de 19 ans. Le scénario d’un Hafez al-Assad succédant à Bachar, lui-même successeur de Hafez, est à l’évidence très sérieux pour cette famille qui considère tout un pays comme sa chasse gardée.