INTERVIEW
MAÎTRE Clémence Bectarte est, depuis 2008, coordinatrice du groupe d’action judiciaire de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).
LE FIGARO. – Quelle est, à vos yeux, l’importance de cette décision de la justice française ?
Clémence BECTARTE. – Cela a d’abord une grande importance pour la famille Dabbagh qui se bat depuis qu’elle a appris la disparition de Patrick et Mazzen dans la nuit du 3 au 4 novembre 2013. Elle a lutté pour savoir ce qu’il leur est arrivé et ensuite pour que justice leur soit rendue. C’est donc d’abord l’aboutissement de son combat. Ensuite, c’est la première fois qu’est visé, s’agissant de la situation en Syrie, un si haut niveau de responsabilité puisque Ali Mamlouk et Jamil Hassan constituent la garde rapprochée de Bachar el-Assad. Ils sont toujours en poste et toujours aux commandes de la répression comme ils l’ont été depuis 2011. On est au cœur du régime, avec des charges de complicité de crimes contre l’humanité, punie de la réclusion criminelle à perpétuité. Le tout dans une affaire qui a permis de mettre en lumière le fait que derrière l’arrestation, la torture, l’assassinat de deux ressortissants franco-syriens, il était possible d’engager la responsabilité des plus hauts responsables de l’État syrien. Car on est bien là face à une politique d’État qui a été mise en place pour réprimer la population syrienne.
Cette affaire n’est-elle pas purement symbolique ?
Absolument pas, même s’il est vrai que, si un procès s’ouvre l’année prochaine devant la cour d’assises de Paris, les accusés seront très probablement absents. On est bien au-delà du symbole et il est essentiel de continuer de lutter contre l’impunité des crimes du régime syrien. Il y a une vraie demande des victimes syriennes de ne pas oublier ce que continue à être ce régime et de se battre pour la justice même si, pour le moment, les seuls recours sont devant les juridictions européennes et quelques autres, et non en Syrie ou devant la Cour pénale internationale.
La France se prononce ainsi sans équivoque pour une poursuite des crimes de l’État syrien mais d’autres procédures sont également en cours à l’étranger…
L’Allemagne est incontestablement en première ligne avec déjà trois procès et trois condamnations. L’État allemand a donné très tôt les moyens nécessaires au parquet fédéral pour avancer sur ces enquêtes. D’autres procédures sont ouvertes en Autriche, en Suède, aux Pays-Bas, en Belgique, au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni. Une dizaine de pays ont donc aujourd’hui des enquêtes actives sur la situation en Syrie, que ce soit concernant les crimes du régime, les crimes de groupes armés non étatiques ou les crimes de Daech.
Certains États semblent tentés par une « normalisation » des relations avec Damas…
Il faut s’y opposer fermement. Le fait que des enquêtes soient en cours, que des procès aient lieu, que ces crimes soient qualifiés et des responsables sanctionnés, c’est aussi un moyen de rappeler à la communauté internationale que le régime syrien est avant tout un régime de criminels contre l’humanité. C’est aussi l’occasion de rappeler que ces crimes continuent. On a vu l’instrumentalisation du récent tremblement de terre par Bachar el-Assad, qui a empêché l’accès des secours à des régions qu’il ne contrôle pas. Plusieurs ONG ont aussi documenté de nombreux cas de réfugiés rentrés en Syrie qui ont été arrêtés et ont disparu dans les geôles du régime à leur retour.■
PROPOS RECUEILLIS PAR J. C.