Le 2 août dernier, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a reçu une délégation de l’opposition syrienne, une première depuis sa prise de fonction. Au cours de cette visite, toute aussi symbolique que celle qu’il avait effectuée à Moscou, il y a un peu plus d’un mois, Radwan Ziadeh, opposant syrien résidant à Washington, a indiqué ce qu’il espérait voir les Etats-Unis entreprendre à l’encontre du régime de Damas : « Nous souhaitons que le Président Obama demande à Bachar al-Assad de se retirer immédiatement […] Nous avons également besoin que les Etats-Unis obtiennent du Conseil de sécurité de l’ONU de nouvelles sanctions et que les crimes contre l’humanité commis en Syrie soient jugés par un tribunal pénal international ». On comprend ces incitations : jusqu’à ces dernières semaines, la position américaine s’est caractérisée, au niveau des déclarations, par une grande retenue . Elles n’ont connu une montée en puissance qu’à la suite des exactions commises contre l’ambassade américaine à Damas. Il semble malgré tout que la prudence vis-à-vis de la Syrie demeure encore la règle.
Une relation bilatérale en dents de scie
Au cours des dernières décennies, les relations entre Damas et Washington ont conservé un caractère complexe, oscillant entre tentative de coopération, négociation et confrontation verbale. La Syrie, considérée depuis 1979 par le Département d’Etat comme soutenant le terrorisme, a fait l’objet de longues réflexions et de vifs désaccords dans les cercles décisionnels américains. Certains ont prôné son isolement diplomatique tant qu’aucune inflexion politique n’aurait été consentie par Damas, tandis que d’autres en appelaient à la retenue et au dialogue dans le but de parvenir rapidement à une paix avec Israël.
La situation actuelle reflète le balancement entre ces différentes positions. Damas est partie prenante de toute une série d’enjeux capitaux qui pèsent sur le maintien de la paix régionale. Elle est une alliée de l’Iran, elle dispose de relais politiques et sécuritaires au Liban, elle est frontalière de l’Irak, elle soutient des groupes qualifiés de terroristes par les Etats-Unis… Tous ces éléments n’ont pourtant jamais conduit les différentes administrations américaines à mener une politique de continuité vis-à-vis de Damas. Certains présidents se sont dressés contre le pouvoir de nuisance que Damas se flattait de détenir. D’autres ont adopté une attitude plus prudente, cherchant coûte que coûte à conserver avec la Syrie une ligne diplomatique ouverte. Mais aucun n’a jusqu’à présent cédé à l’intimidation, au chantage et à la menace.
Pour mieux comprendre la politique américaine à l’égard de Damas, il est donc nécessaire d’effectuer un petit retour en arrière. Depuis la présidence de George W. Bush, l’approche américaine envers Damas a considérablement évolué, mais les résultats de cette évolution restent peu probants. Au vu de la révolution que mène désormais le peuple syrien, il convient de s’interroger sur la manière dont Washington redéfinit sa diplomatie.
De Bush à Obama, la continuité du « je t’aime… moi non plus »
Au lendemain du 11 septembre 2001, le Moyen-Orient, qui n’est pas la priorité de la nouvelle administration américaine, effectue un retour fracassant sur la scène internationale. La guerre déclarée par Georges W. Bush contre le terrorisme offre l’occasion à la Syrie d’offrir son expertise dans la lutte contre l’islam politique radical. Mais les dirigeants syriens déchantent rapidement, voyant en 2003 la guerre s’installer à leur porte. Il n’est plus seulement question de lutte contre le terrorisme mais de « regime change ». Les Syriens comprennent qu’eux-mêmes pourraient faire partie du plan de recomposition du Moyen-Orient voulu par l’administration néoconservatrice américaine. A compter de cette date, la Syrie se retrouve sous la pression des Etats-Unis, et les condamnations internationales pleuvent sur Damas pour plusieurs raisons : non-respect du programme « pétrole contre nourriture » des Nations Unies qui interdit l’achat de pétrole irakien ; vente et transfert d’armes à destination de Bagdad qui impliquent des personnalités syriennes telles que Rami Makhlouf et Firas Tlass, fils de l’ancien ministre de la Défense ; poursuite de l’occupation militaire du Liban ; soupçons entourant le possible développement d’un programme d’armes de destruction massive, chimiques voire nucléaires. Tous ces éléments conduisent les faucons américains à mettre la pression sur Damas, et à rédiger en 2003 le « Syrian Accountability and Lebanese Sovereignty Restoration Act » (SALSRA), qui offre au chef de l’exécutif américain toute une panoplie de sanctions qui ne seront jamais intégralement mises en œuvre. Ce texte prévoit entre autres choses :
l’interdiction des exportations à destination de la Syrie, à l’exception de la nourriture et des médicaments,
l’interdiction pour les avions syriens de survoler le territoire américain,
l’interdiction aux entreprises américaines d’investir en Syrie,
la réduction des contacts diplomatiques avec Damas,
la limitation des déplacements pour les diplomates syriens aux Etats-Unis dans un rayon de 40 kilomètres autour de Washington,
le blocage des transactions avec toutes les entreprises ayant un lien avec le régime syrien.
Cet arsenal de mesure ne modifie pas profondément l’attitude des dirigeants syriens, qui préfèrent s’en tenir à leur habituelle stratégie de nuisance, poursuivre leurs ingérences au Liban et entretenir une porosité volontaire de leur frontière avec l’Irak. Cette réaction n’impressionne pas une administration américaine alors dominée par des éléments bellicistes. Les sanctions se durcissent progressivement et ciblent à chaque fois davantage certains responsables syriens. Damas campe malgré tout sur ses positions jusqu’au 14 février 2005, qui engage les deux pays dans une période de crise ouverte. Suite à l’attentat dont est victime à Beyrouth l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, la Syrie est pointée du doigt, et Margaret Scobey, ambassadrice des Etats-Unis à Damas, est aussitôt rappelée à Washington.
De 2005 à 2009, les relations diplomatiques entre les deux Etats restent au point mort. Des visites se poursuivent, surtout dans le sens Washington Damas, mais aucune véritable discussion n’est possible entre une administration américaine peu ouverte au dialogue et un régime syrien peu disposé à la concession. Seules des provocations verbales animent durant ces années les chancelleries respectives. Les armes parlent à l’occasion, comme lors d’un raid d’hélicoptères américains, le 26 octobre 2008 à Abû Kamâl, sur la frontière syro-irakienne, officiellement destiné à éliminer un commando d’insurgés réfugié en Syrie. Mais la volonté d’isoler politiquement la Syrie domine alors la stratégie néoconservatrice américaine.
Avec la prise de fonction de Barack Obama, en janvier 2009, une nouvelle approche est inaugurée. On considère désormais, à Washington, qu’il faut se réengager diplomatiquement avec Damas, qui joue un rôle essentiel dans la région, notamment au regard du processus de paix israélo-arabe, priorité affichée du début de mandat du nouveau président. L’administration démocrate fraîchement élue est également persuadée qu’en se rapprochant de la Syrie, celle-ci s’éloignera de l’Iran, mais également du Hamas et du Hizbollah. Mais, dès 2010, les Américains se rendent à l’évidence : la stratégie du « donnant-donnant » ne fonctionne pas avec la Syrie. Ainsi malgré les visites de personnalités américaines de premier plan, tel que John Kerry, président du comité des affaires étrangères au Sénat, ou Georges Mitchell, envoyé spécial du président pour le Moyen-Orient, Damas campe sur une attitude de défiance, refuse de collaborer avec l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), entrave les activités du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), ne montre guère de souplesse dans les pourparlers avec les Israéliens…
Le changement de stratégie de la part des Américains n’entraine donc pas de réaction notable de la part de Damas, les dirigeants syriens s’imaginant en position de force, et interprétant les ouvertures américaines comme des marques de faiblesse de leur part ou comme la reconnaissance par les Etats-Unis qu’ils ne peuvent se passer de la coopération de la Syrie. L’attitude des Etats-Unis aurait pourtant du les inciter à la prudence, car, si la logique du dialogue prédomine à Washington sous la présidence de Barack Obama, y compris vis-à-vis de la Syrie, elle n’exclut pas pour autant le recours aux sanctions. Le SALSRA, bien que non-intégralement appliqué, est ainsi prorogé en mai 2009. Il est toujours en vigueur aujourd’hui. Alors que les Syriens imaginaient accueillir un nouvel ambassadeur américain dès avril 2009, ce qui aurait marqué leur retour en grande pompe sur la scène internationale, Robert Ford n’y arrive qu’en janvier 2011, au terme d’un bras de fer entre Barack Obama et le Congrès, aussi réticent que les Israéliens face à cette nomination. A mi-mandat du président américain, force est de constater que si la nouvelle administration semble plus ouverte au dialogue, sa patience est des plus limitées.
La relation bilatérale à l’épreuve de la révolution en Syrie
Compte-tenu de ce qu’ont été les relations entre les Etats-Unis et la Syrie aux cours des dernières années, agitées et marquées par de multiples signes de provocation et de défiance, on aurait pu s’attendre à ce que l’administration américaine s’empresse d’appeler à la chute du régime de Bachar al-Assad, une fois les premières manifestations populaires enclenchées. Mais, à l’inverse de ce qui s’est passé avec l’Egypte ou le Yémen, il n’en est rien.
Certains experts américains incitent l’administration à faire preuve de prudence dans le traitement du cas syrien. Bachar al-Assad est en effet plus un adversaire qu’un ennemi pour les Etats-Unis, mais également pour leur allié israélien. L’Etat hébreu en a conscience. Il fait logiquement observer à Washington qu’une chute du régime syrien pourrait avoir pour lui des conséquences sérieuses. Mieux vaut dès lors privilégier un adversaire connu et sur lequel on a une prise – au cours des dernières années, Israël a plusieurs fois survolé le territoire syrien et y a mené une attaque aérienne contre un site de recherche supposée nucléaire, sans que la Syrie ose relever l’affront autrement que par des menaces restées sans suite – que l’inconnu. Plusieurs scénarios pessimistes s’empilent en effet sur la table des stratèges américains, annonçant soit l’arrivée à Damas d’un régime de type islamiste, soit l’éclatement du pays dans un scénario à l’irakienne.
Mais la vision appelant au maintien du statu quo satisfait de moins en moins les décideurs à Washington, comme d’ailleurs à Tel Aviv, ainsi que le montre un récent discours de Shimon Peres. Barack Obama, dont le principal objectif dans la région reste le règlement du conflit israélo-arabe, semble peu à peu acquis à l’idée que l’arrivée d’un nouveau régime en Syrie pourrait être bénéfique à cet égard. Il pense que, occupé par la relance de la vie politique et économique, dans un contexte où les questions intérieures seront prédominantes, le nouveau pouvoir en Syrie aura d’autres choses à faire que reprendre à son compte la stratégie de nuisance et d’obstruction de son prédécesseur. Une transition politique pourrait donc avoir des effets positifs sur la paix régionale. De plus, les quatre mois de manifestation en Syrie ont permis de constater que les Frères Musulmans, éternel épouvantail, n’ont plus l’influence qu’ils détenaient dans les années 1980. S’il est probable que les sunnites, majoritaires dans le pays, seront majoritaires au sein du nouveau pouvoir, rien ne permet de croire que leur Association y occupera une place prépondérante, manifestants et opposants – Frères Musulmans compris – appelant de concert à la mise en place d’un Etat « madani », laïc modéré. Un autre élément est pris en compte par l’administration américaine : la résistance des protestataires au piège de la guerre civile tendu par le régime. Si l’on excepte la période de la fin des années 1970 et du début des années 1980, au cours de laquelle les torts sont d’ailleurs partagés entre les « islamistes » et le pouvoir, la violence sectaire est toujours restée un phénomène marginal en Syrie. Les manifestants font preuve aujourd’hui d’une maturité politique impressionnante, refusant de faire le jeu du régime, alors même que celui-ci pousse ses miliciens à commettre exaction sur exaction.
Washington s’interroge donc chaque jour davantage sur l’intérêt de soutenir Bachar al-Assad. Le temps où Barack Obama « déplorait » le recours à la violence des forces de sécurité et où Hillary Clinton appelait le « réformateur » Bachar al-Assad à mettre en œuvre un calendrier de réformes semble dépassé. La période est désormais aux sanctions.
Dés le 29 avril, des mesures à l’encontre de Maher al-Assad, frère du président, ainsi que de son cousin, Atif Najib, ont été décidées par Washington. Elles incluaient également le plus haut responsable du directoire du renseignement syrien. Moins d’un mois après, une nouvelle série de sanctions a été adoptée, contrebalançant les prises de position réservées des dirigeants américains. Bachar al-Assad en a été la principale victime. Le 19 mai, lors de son discours sur la situation au Moyen-Orient, le président américain a lancé une mise en garde à son homologue syrien, le mettant en demeure de « réformer ou partir ». Plusieurs autres hauts responsables syriens ont également été la cible de Washington : Farouq al-Chareh, vice-président ; Adel Safar, Premier ministre ; Mohammad Ibrahim al-Chaar, ministre de l’Intérieur ; Ali Habib Mahmoud, ministre de la Défense ; Abdul Fatah Qoudsiyeh, chef du renseignement militaire ; Mohammad Dib Zeitoun, directeur de la sécurité politique. A cette liste, le Département du Trésor a ultérieurement ajouté Hafez Makhlouf, cousin de Bachar al-Assad et membre des services de renseignements, mais aussi des institutions syriennes en lien avec les forces de sécurité, un grand groupe économique affilié au régime, la Holding Cham, et son président Nabil Rafik al-Kouzbari.
D’autres initiatives ont été prises par les Américains en soutien aux protestataires syriens. Ainsi, comme les Britanniques l’avaient fait précédemment avec l’ambassadeur Sami Khiami, le Département d’Etat a convoqué le 6 juillet l’ambassadeur Imad Mustapha. Il a été reçu par Eric Boswell, secrétaire-assistant à la sécurité diplomatique au Département d’Etat, qui l’a mis en garde contre la poursuite de la surveillance et le recours à la menace à l’encontre de citoyens syriens et syro-américains résidant sur le territoire américain, ce genre d’action pouvant mener à des poursuites judiciaires.
Le fait le plus médiatisé et le plus significatif s’est toutefois déroulé en Syrie. Les 7 et 8 juillet, l’ambassadeur américain Robert Ford s’est rendu dans la ville de Hama, encerclée et sans doute sur le point d’être attaquée par les forces armées. Il y a rencontré l’opposition locale. Pour les autorités syriennes, cette visite a constitué une « preuve » de la collaboration américaine avec les « saboteurs » et une « incitation à la violence, à la manifestation et au refus du dialogue ». Pour les protestataires, cette visite est au contraire apparue providentielle, les habitants de la ville redoutant la répétition imminente des événements de 1982. La réplique du régime ne se fait pas attendre. Le 10 juillet, une manifestation de menhebbakjis – un terme forgé par les manifestants pour tourner en dérision ceux qui font profession « d’aimer » Bachar al-Assad – est organisée aux alentours de l’ambassade américaine à Damas. Elle dégénère rapidement. En réponse, Robert Ford poste le jour suivant une note sur sa page Facebook, dans lequel il constate avec ironie « le laisser-faire du gouvernement syrien quand il s’agit de manifestations anti-américaines, tandis que les nervis des services de sécurité frappent des manifestants pacifiques ». Dans cette même note, il invite les sceptiques à comparer les dégradations que son ambassade a subies à l’état des locaux du parti Ba’th et du siège de la police à Hama, intacts selon lui.
C’est dire que, pour les Etats-Unis, le recours à la violence est d’abord et avant tout le fait du régime de Bachar al-Assad. S’il n’a pas été atteint, le point de rupture est désormais proche entre le pouvoir syrien et l’administration américaine. Comme Hillary Clinton le souligne, le 11 juillet, le régime syrien a « soit autorisé, soit incité » les manifestants à s’en prendre aux locaux de la représentation américaine, située dans un quartier ultra-sécurisé dans lequel vivent généraux et membres de la famille al-Assad, le chef de l’Etat compris… La secrétaire d’Etat affirme à cette occasion que Bachar al-Assad a « perdu sa légitimité » et qu’il n’est « pas indispensable.
Washington entre volonté de réengagement et realpolitik
De plus en plus nombreuses, des voix s’élèvent aux Etats-Unis pour appeler à des mesures et des sanctions plus fortes à l’encontre de Damas. Le 5 mai 2011, la congressiste de Floride, Ileana Ros-Lehtinen, et le congressiste Eliot Engel de New York, membres du Comité des Affaires Etrangères, ont ainsi écrit au président Barack Obama pour l’appeler à mettre intégralement en œuvre le SALSRA.
Des opposants syriens appellent également les Etats-Unis à durcir leurs sanctions, notamment dans le domaine économique. A leurs yeux, l’administration américaine a franchi un pas capital en déclarant Bachar al-Assad « illégitime » et en démontrant, lors de la visite de Robert Ford à Hama, le soutien des Etats-Unis aux protestataires. Mais, selon eux, les Etats-Unis doivent aller plus loin et adopter des sanctions unilatérales, toute résolution internationale restant pour le moment menacée de blocage au Conseil de Sécurité par la Russie et la Chine. Le secteur énergétique syrien est une cible actuellement étudiée. Le régime est en effet hautement dépendant de sa production pétrolière qui, bien que peu élevée – moins de 390 000 barils par jours – et de médiocre qualité, lui permet de financer un quart voire un tiers de son budget annuel. L’Etat syrien ne pouvant à l’heure actuelle imposer de charges fiscales supplémentaires à la population, il devra puiser dans les réserves de la Banque centrale. Celles-ci s’élèvent à 17 milliards de dollars, plus des trois quarts de son budget annuel qui tourne en moyenne autour de 21 milliards de dollars. Les Etats-Unis pourraient aussi faire pression sur les pays acheteurs d’hydrocarbures syriens, tel que la France, l’Allemagne, l’Italie ou les Pays-Bas. Des pressions sur des entreprises pétrolières seraient également envisageables afin que celles-ci cessent temporairement leurs activités en Syrie. Au delà du secteur énergétique, Washington étudie également la possibilité d’élargir les sanctions à certaines entreprises liées au régime, de manière à susciter la défection d’élites économiques, jusque là en grande partie encore fidèles au pouvoir.
Si elles sont mises en œuvre, ces mesures n’auront toutefois qu’une efficacité limitée. Les Etats-Unis ont conscience qu’ils n’ont que peu de poids sur le régime syrien, et qu’à eux seuls ils ne peuvent le conduire à modifier son comportement. La Syrie ne dépend pas de ses relations commerciales avec les Etats-Unis, ni de sa technologie, secteur aéronaval exclu. Si des sanctions contre des responsables syriens sont adoptées, elles ne seront pas d’une importance cruciale au vu de la faible quantité des avoirs syriens aux Etats-Unis.
Les Américains connaissent les limites de leur influence. Eux-mêmes s’interrogent sur l’utilité de sanctionner Damas plus que ce n’est déjà le cas. Washington ne tient pas à se substituer aux protestataires dans les pressions exercées sur le régime, par crainte de légitimer le discours du pouvoir sur la « conspiration ». Dans une interview accordée à la revue Foreign Policy, le 14 juillet, Robert Ford a affirmé que Washington pouvait « soutenir » les protestataires pacifiques, mais ne pouvait pas aller plus loin. Aucune autre forme de soutien n’aurait un poids significatif. Pire, elle pourrait à terme s’avérer contre-productive.
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Les Etats-Unis avancent avec prudence. L’administration semble sincère dans ses déclarations et dans les sanctions qu’elle impose à la Syrie. Mais elle n’ose pas s’aventurer dans ce que certains considèrent à Washington comme des eaux troubles. Les responsables américains savent d’ailleurs que ce qu’ils décident n’a que peu d’impact en Syrie. Avec le temps, la mise en oeuvre de sanctions dans le secteur énergétique apparaît probable. Mais elles risquent de rester mesurées et, en tout état de cause, elles ne répondront pas totalement aux attentes des opposants syriens. Bref, à ce jour encore, les Etats-Unis semblent être davantage dans l’expectative que dans l’action, sans doute parce que Washington s’est fait à l’idée que la solution diplomatique à la crise ne proviendra que des pays voisins de la Syrie, au premier rang desquels la Turquie, qui dispose de liens commerciaux – et naguère encore politiques – puissants avec Damas.
Ces éléments expliquent les difficultés éprouvées par les Etats-Unis à s’engager plus concrètement contre le régime de Bachar al-Assad. Tout montre que, à ce stade encore, la solution privilégiée reste diplomatique – l’ambassadeur Robert Ford est encore à son poste, alors qu’en avril un diplomate américain avait été « malmené » et que, en juillet, son ambassade a été la cible d’attaques organisées par le régime – et que la rupture des relations n’interviendra pas à l’initiative de Washington. Même si certains affectent de s’interroger sur l’éventualité ou la faisabilité d’une intervention militaire, tout porte à croire qu’un tel développement n’est nullement à l’ordre du jour. Déjà engagée sur de nombreux fronts, l’OTAN ne tient pas à – et n’est plus en mesure de – s’attaquer à qui que ce soit. De plus, pour les protestataires syriens rien ne serait plus néfaste à leur révolution qu’une intervention militaire extérieure, qui ôterait son caractère populaire et pacifique à leur révolution.
http://syrie.blog.lemonde.fr/
Les Etats-Unis et la Syrie : comment sanctionner sans rompre ? En s’en tenant à des cadres stratégiques figés et remontant au siècle dernier (Assad, un adversaire commode, non un ennemi; quid d’un après-Assad? etc.), en s’abstenant de les revisiter, fondements, replis et réalité, Obama et ses conseillers risquent de se tailler une place très peu enviable, au seuil de cette deuxième décennie du XXIème; celle de responsables désignés, directs et premiers de la prorogation de l’entité la plus archaïque structurellement, la plus totalitaire classificatoirement, la plus criminelle moralement, la plus catastrophique économiquement et la plus déstabilisatrice stratégiquement, encore survivante… Lire la suite »