La visite du président iranien à Damas, au moment où la Syrie est plus que jamais isolée sur la scène internationale, vise à renforcer la mainmise de Téhéran sur le régime baasiste, explique Gulf News.
Débarquant le jeudi 19 juillet à Damas pour une visite qu’il a qualifiée d' »historique », le président iranien Mahmoud Ahmadinejad aura les bras chargés de cadeaux. Et c’est là où son homologue syrien, Bashar El-Assad, devra se méfier. Cette visite a lieu quarante-huit heures après la prestation de serment qui marque le débat de son deuxième mandat à la tête de la Syrie. Au départ, plus de douze présidents étrangers devaient venir le féliciter. Mais tous ont trouvé une excuse pour décliner l’invitation.
La venue en solo d’Ahmadinejad montre un degré d’isolement qu’aucun gouvernement syrien n’avait connu depuis les pires moments des années 1960. Ces trois dernières années, le pouvoir en place à Damas a rompu les relations étroites que la Syrie avait toujours entretenues avec des pays arabes modérés tels que l’Arabie Saoudite, l’Egypte, le Koweït et la Jordanie. Il a également consumé toute la bienveillance qu’il s’était attirée de la part de la Turquie il y a quelques années, en permettant aux forces de sécurité turques de capturer le chef rebelle kurde Abdullah Öcalan. La Syrie s’est ensuite querellée à la fois avec les Etats-Unis et la France, réussissant le rare exploit de mettre Paris et Washington d’accord à propos du Moyen-Orient.
Hafez El-Assad, père de l’actuel président syrien, avait retenu au moins deux des leçons de Machiavel sur la politique. La première était de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Et la deuxième de ne pas se mêler des disputes entre des puissances trop grandes et de se préoccuper du sort de la Syrie. Bashar, en revanche, se retrouve avec un panier dont le fond a lâché, et tous les oeufs qui s’y trouvaient se sont cassés. Il a également impliqué la Syrie dans le conflit que se livrent l’Iran et les Etats-Unis afin de déterminer qui doit décider de l’avenir du Moyen-Orient. Les médias syriens voient dans la relation entre leur pays et l’Iran une alliance. Mais les médias de la République islamique, eux, la voient comme une relation de dépendance, la Syrie étant liée à l’Iran.
La Syrie n’a aucun intérêt à se retrouver impliquée dans un combat qui n’est pas le sien. Si les Américains gagnent, elle se retrouvera du côté des perdants et devra payer le prix fort. Si les Khomeynistes gagnent, le prix qu’elle devra payer sera encore plus élevé parce qu’elle devra adhérer à une idéologie islamiste que le parti Baas, le parti au pouvoir, a toujours considérée comme un ennemi mortel.
Examinons à présent les « cadeaux » qu’Ahmadinejad va apporter à Damas demain. L’un d’eux est un projet de traité de coopération commerciale et économique qui donnera aux deux pays la priorité dans les domaines du commerce et des investissements. Il n’est pas difficile de voir à qui profiterait le plus un tel accord. La Syrie n’a pas d’argent à investir en Iran et peu de produits à offrir au marché iranien.
Bashar ne le sait peut-être pas, mais 57 des économistes iraniens les plus éminents ont déjà écrit à Ahmadinejad pour le mettre en garde contre les effets désastreux de son idéologie économique. Fondée sur l’idée de l’autarcie, elle s’inspire du modèle nord-coréen d’économie paysanne associée à une capacité nucléaire.
Le projet de traité d’Ahmadinejad est également censé compléter le pacte de défense que les deux pays ont signé en juin 2006. Dans le cadre de cet accord, l’Iran offre à la Syrie d’entraîner les soldats syriens en Iran et dans un certain nombre d' »académies » sur le sol syrien. Le but d’un tel programme serait la création d’un réseau d’officiers proiraniens dans tout l’appareil militaire syrien, qui est l’épine dorsale du régime baasiste. Cela rendrait également les forces armées syriennes dépendantes de la culture militaire et des visées stratégiques de l’Iran.
Ahmadinejad offre également « un vaste programme d’échanges culturels ». Ce programme comprend des bourses d’études qui permettront à des milliers de Syriens d’aller dans les universités et les écoles religieuses iraniennes. Mais il prévoit aussi de laisser les coudées franches aux missionnaires iraniens et libanais qui voudraient convertir les Syriens à la version khomeyniste du chiisme.
Abandonné par les Arabes et évité par l’Europe et les Etats-Unis, Bashar risque de sentir qu’il n’a pas d’autre choix que de raccrocher ses wagons à la locomotive sans freins d’Ahmadinejad. Beaucoup de Syriens, y compris dans l’entourage de Bashar, ne sont pas d’accord et pensent que la Syrie peut encore réfléchir avant de faire le grand saut. Une stratégie, fondée sur l’espoir que la République islamique chassera les Etats-Unis du Moyen-Orient, rayera Israël de la carte et, sur la lancée, rendra le Golan à la Syrie, ne peut que conduire le régime syrien à un isolement encore plus grand.
Gulf News
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