Le premier ministre arménien au Figaro: «La Turquie s’aventure sur un chemin génocidaire»

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EXCLUSIF – Dans un entretien au Figaro, Nikol Pachinian accuse aussi les «milliers de terroristes» venus de Syrie pour se battre aux côtés des Turcs et des Azerbaïdjanais.

 

LE FIGARO. – Vous accusez l’Azerbaïdjan d’être soutenu militairement par la Turquie. De quelles preuves disposez-vous?

Nikol PACHINIAN. – Oui nous avons des preuves. La Russie, la France et l’Iran ont déjà reconnu l’implication de l’armée turque dans l’offensive de grande ampleur lancée contre l’Artsakh (le Haut-Karabakh, NDLR), le 27 septembre. Des officiels turcs de haut niveau ont publiquement confirmé leur soutien à l’Azerbaïdjan, en des termes politiques et diplomatiques, mais aussi sur le champ de bataille. Ils utilisent des drones et des F-16 turcs pour bombarder des zones civiles au Haut-Karabakh. La communauté internationale, en particulier le public américain, doit savoir que des F-16 fabriqués aux États-Unis sont actuellement utilisés pour tuer des Arméniens dans ce conflit. Il y a des preuves que des commandants militaires turcs sont directement impliqués dans la direction de l’offensive. Ankara a fourni à Bakou des véhicules militaires, des armes, ainsi que des conseillers militaires. Nous savons que la Turquie a formé et transporté des milliers de mercenaires et terroristes depuis les zones occupées par les Turcs dans le nord de la Syrie. Ces mercenaires et ces terroristes combattent aujourd’hui contre les Arméniens. Beaucoup d’entre eux ne savaient même pas pourquoi la Turquie les a déployés en Azerbaïdjan. On leur a fait de fausses promesses, ainsi qu’ils l’ont découvert en arrivant dans le pays. Nous savons aussi que ces terroristes prennent de la drogue, parce que des seringues remplies de produits narcotiques ont été découvertes dans les poches de leurs uniformes – ce qui peut expliquer qu’environ 30 % des pertes azerbaïdjanaises soient des mercenaires venus de l’étranger.

Selon vous, la Turquie est-elle responsable de cette escalade?

Absolument. L’exercice militaire conjoint azerbaïdjano-turc, qui a commencé en août, ne s’est pas terminé. Et l’offensive contre le Haut-Karabakh est en réalité la phase suivante de cette opération. Après s’être préparés, ils ont pris la décision de lancer cette offensive, et ils doivent être tenus responsables de cette escalade. Après le lancement de l’attaque et la défaite subie sur les frontières de l’Arménie en juillet, l’Azerbaïdjan a fait appel à la Turquie et il est évident qu’Ankara prend des décisions sur de nombreux aspects clés de la situation. Leur objectif est de renverser l’équilibre régional des pouvoirs en leur faveur.

Que voulez-vous dire?

Le souhait de la Turquie est de renforcer son rôle et son influence dans le Sud-Caucase, et de modifier ainsi le statu quo en vigueur depuis plus d’un siècle. Elle poursuit le rêve de construire un empire imitant le sultanat, et s’engage sur un chemin qui pourrait embraser la région.

Seriez-vous prêt à mettre en œuvre un cessez-le-feu?

Il appartient à la Turquie et à l’Azerbaïdjan d’arrêter les hostilités, car ce sont eux qui ont déclenché l’offensive et qui, en ce moment, tuent des Arméniens. Le Haut-Karabakh ne peut pas désarmer, car cela conduirait à un génocide. Les gens qui vivent là-bas font face à une menace existentielle. À ce stade, la partie adverse ne montre aucune intention d’arrêter les combats. Je ne suis même pas sûr que l’Azerbaïdjan contrôle les terroristes qui combattent à ses côtés. Nos renseignements montrent que dans certains villages d’Azerbaïdjan, les mercenaires entrent dans les magasins, et interdisent la vente d’alcool, en disant qu’ils appliquent la charia.

La négociation doit-elle passer par le groupe de Minsk?

C’est le seul format qui existe. Les présidents de la Russie et de la France ont lancé un appel fort. Nous attendons un engagement actif de la communauté internationale pour un arrêt de l’agression. L’appartenance de la Turquie au groupe de Minsk de l’OSCE devrait être suspendue, dès lors qu’elle se comporte de manière partiale et belliqueuse. Elle ne peut donc plus être un médiateur.

Cette crise est-elle plus sévère que celle de 2016?

Elle est beaucoup plus grave. Il serait plus approprié de la comparer avec ce qui s’est passé en 1915, quand plus de 1,5 million d’Arméniens ont été massacrés durant le premier génocide du XXe siècle. L’État turc, qui continue de nier le passé, s’aventure de nouveau sur un chemin génocidaire. Le monde doit être conscient de ce qui se passe ici. La communauté internationale doit s’impliquer rapidement pour empêcher la violence de se propager, sinon les conséquences de ce conflit déborderont le sud du Caucase.

LE FIGARO

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