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Emmanuel Bonne a annoncé son départ sur fond, notamment, de tensions avec la cellule militaire de l’Elysée.
« Emmanuel Bonne a la confiance du président de la République et quittera ses fonctions lorsqu’il le souhaitera » : ainsi a réagi l’Elysée, dimanche 12 janvier, à l’annonce de la démission du conseiller diplomatique en chef d’Emmanuel Macron. Le sherpa du président, qui dirige la cellule diplomatique de l’Elysée, avait fait part, selon une information révélée la veille par La Lettre, de son désir de quitter son poste, même si l’incertitude demeurait encore lundi matin sur la réalité de ce départ.
Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Bonne menace de quitter des fonctions qu’il occupe depuis mai 2019, une longévité record. Sa décision semble avoir été prise, selon nos informations, pour manifester sa colère après un incident survenu peu avant le départ d’Emmanuel Macron et de ses conseillers pour Londres, jeudi 9 janvier. Le chef de l’Etat a dîné dans la soirée avec le premier ministre britannique, Keir Starmer, afin de parler de la situation en Ukraine et au Proche-Orient, tout en essayant de surmonter les traces laissées par le Brexit sur la relation bilatérale.
Ce jour-là, Emmanuel Bonne a refusé au dernier moment de se joindre à la délégation française, pour protester de n’avoir pas été mis, avant le déplacement, dans la boucle d’une note confidentielle préparée par le chef d’état-major particulier du président de la République, le général Fabien Mandon. L’influence de cet aviateur, aussi affable que Bonne peut être bourru, n’a cessé de croître depuis qu’il a rejoint l’Elysée, en mai 2023 – il serait d’ailleurs candidat pour remplacer un jour le chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard. Au lendemain de ces frictions, le sherpa s’est décidé à mettre sa démission dans la balance. Certains de ses collègues n’excluaient pourtant pas de le voir revenir à son bureau cette semaine, une fois ce coup de sang passé.
Fatigue et lassitude
L’épisode révèle surtout l’influence qu’ont prise les militaires dans les choix diplomatiques de l’Elysée, au détriment des diplomates, au fil des crises internationales, que ce soit au sujet de l’Ukraine ou du Proche-Orient, mais aussi de la politique africaine – bien que l’armée ait tout fait pour réduire les livraisons d’armes à Kiev, et ait eu du mal à accepter le retrait des forces françaises improvisé par Paris au fil des coups d’Etat au Sahel.
Il n’est pas rare, selon plusieurs sources, que le général Mandon, qui a notamment la main sur la préparation des conseils de défense présidés par Macron, court-circuite Emmanuel Bonne, en contactant directement les interlocuteurs de celui-ci. Pour ne rien arranger, la cellule diplomatique est tout sauf une équipe soudée face aux militaires. « Sur le Proche-Orient, il existe autant d’avis que de diplomates à l’Elysée », observe un connaisseur. Un autre appelle, sans s’étonner de ces luttes d’influence, à ce que « les lignes de décision soient claires, et elles ne le sont pas ».
Au sein de l’Elysée, les uns ne sont pas étonnés du « pétage de câble » d’Emmanuel Bonne, un bourreau de travail dont les méthodes de management ont pu contribuer au surmenage de certains de ses collaborateurs, et à un turn-over rapide au sein de la cellule diplomatique lors du premier mandat. Les autres comprennent la fatigue et la lassitude qui seraient les siennes après tant d’années au service d’un président souvent peu soucieux des avis de ses services diplomatiques et dont les initiatives ont parfois pris de court non seulement le Quai d’Orsay, mais aussi ses conseillers les plus dévoués.
Annonces sans concertation
Emmanuel Bonne avait ainsi dû, en octobre 2023, lors de la visite en Israël d’Emmanuel Macron plus de deux semaines après avec les attaques terroristes du 7-Octobre, rectifier dans l’urgence la proposition formulée par le chef de l’Etat de forger une coalition anti-Hamas, sur le modèle de celle mise en place avec succès contre l’organisation Etat islamique. Un projet suggéré par le philosophe Bernard-Henri Lévy, et préparé sans concertation avec le ministère des affaires étrangères.
Fin arabisant, Emmanuel Bonne a connu Emmanuel Macron à l’Elysée, sous François Hollande, en tant que conseiller chargé du Moyen-Orient. Il a ensuite été nommé par le président socialiste ambassadeur au Liban. Deux ans plus tard, après la victoire d’Emmanuel Macron, tandis que Philippe Etienne avait pris la tête de la cellule diplomatique, Emmanuel Bonne avait été désigné directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
La rumeur récurrente de son départ de l’Elysée a d’ores et déjà nourri, ces derniers mois, une discrète lutte de succession. Plusieurs noms sont cités, à commencer par ceux de Nicolas Roche, actuel ambassadeur de France en Iran, de Nicolas de Rivière, en poste auprès de l’ONU à New York et en partance pour Moscou, ou d’Aurélien Lechevallier. L’actuel directeur du cabinet du ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, était le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron lors de sa première campagne électorale, en 2017.