18.11.2010 | Shaffaf
Lorsqu’on se promène à l’ouest de Beyrouth ou dans sa banlieue sud, on constate immédiatement que le Hezbollah a imposé ses marques à chaque coin de rue. Le message qu’il fait passer est celui-ci : “Nous sommes les maîtres du lieu et, si cela ne vous plaît pas, vous savez ce qui vous attend !” Sans que la société libanaise y prenne garde, “l’Etat Hezbollah” a réussi à modeler l’opinion chiite. Celle-ci ne fait confiance qu’aux informations données par ses “unités d’information”. Entre le Premier ministre sunnite et n’importe quel “camarade” – qu’il soit professeur d’université, maçon ou marchand de légumes –, l’opinion prendra parti pour le second et traitera le Premier ministre sunnite de traître au service du “sionisme mondial” et de l’administration américaine.
Les militants chiites pensent fermement que le tribunal international [chargé de juger les assassins de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri] est une machination politique destinée à affaiblir le Hezbollah. Ils sont également convaincus que les deux seuls pays qui ont payé pour la reconstruction du Liban après l’agression israélienne de l’été 2006 sont l’Iran et le Qatar.
L’enseignement religieux dans les écoles du Hezbollah révèle un autre aspect de cet esprit partisan. Trois des quatre califes “bien guidés” [Abou Bakr, Omar et Othman] apparaissent seulement en tant que figures historiques dans les cours, tandis que l’enseignement religieux les passe sous silence, ne parlant que du prophète Mahomet et du quatrième calife, Ali [figure inspiratrice du chiisme]. On y apprend également aux élèves que Fatima, la fille de Mahomet et épouse d’Ali, a été sauvagement assassinée par Amr Ibn Al-Aass [honoré par les sunnites en tant que conquérant de l’Egypte].
“Ceux qui connaissent le parti savent bien qu’il ne s’est pas développé dans l’espace public pour s’insinuer ensuite dans l’intimité des foyers, mais qu’il a toujours été présent dans l’intimité des foyers pour, à un moment donné, sortir dans la rue”, explique l’intellectuel et habitant de la banlieue sud Luqman Slim. “Quand le Hezbollah a été créé, le but n’était pas de libérer Jérusalem et de reprendre les fermes de Chabaa [territoire en Israël réclamé par le Liban]. Tout a commencé au contraire par une phrase qui couvrait les murs de la banlieue Sud : ‘Ma sœur, ton voile m’est plus cher que mon sang.’” Avec le temps, l’expression “Mes félicitations pour le voile !” est devenue le lot quotidien des femmes dans cette “république du Hezbollah”.
Après le raid du Parti de Dieu sur Beyrouth [en 2008], un proche d’une victime a voulu savoir si celle-ci était tombée en “martyr”. Sans succès. Le Hezbollah n’a pas permis à la famille de voir le cadavre avant l’enterrement. Quand, au cours de la cérémonie, un des proches n’a pu retenir ses larmes, on l’a pris de côté pour lui dire de se maîtriser puisque les hommes du parti ne pleurent pas.
Le Hezbollah a également imposé une manière particulière de se saluer. Quand un homme s’adresse à une femme, c’est en disant : “Ya hajja” [celle qui a accompli le pèlerinage]. De même, il a uniformisé l’habit [le voile noir, même si de nombreuses femmes non voilées soutiennent le Hezbollah]et consacré le port d’une barbe standard. Même ceux qui ne partagent pas ses idées sont avec lui par les vêtements, la nourriture, les rites du mariage… Tout le monde est pris dans le carcan et personne ne peut se soustraire à ces normes de l’homme nouveau, de crainte de se retrouver exclu de la communauté. Le Parti de Dieu y est parvenu en établissant son contrôle sur les mosquées, sur les husseinyat [centres communautaires]et les écoles, voire sur les troupes de scouts.
Le plus scandaleux est qu’il “a accaparé les ressources de l’Etat à travers des réseaux tentaculaires d’associations et de fondations”, selon Luqman Slim. “Cela est en contradiction flagrante avec la souveraineté de l’Etat. Les écoles, qu’elles soient du Hezbollah ou d’autres groupes, doivent évidemment être contrôlées par l’Etat. Or c’est l’inverse qui se passe. C’est le Hezbollah qui a mis la main sur les écoles se trouvant dans ses fiefs, fussent-elles financées par l’argent public. Il en va de même pour les hôpitaux. Pour accéder facilement à un hôpital ou à une école, l’habitant de la banlieue a intérêt d’être en bons termes avec le Parti de Dieu. Et le parti ne plaisante pas avec ses prérogatives.”
Traduction par
Courrier International