La prise de la Bastille de la virginité n’a pas encore eu lieu

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J’aimerais faire un commentaire du point de vue juridique et politique sur le jugement prononcé par le tribunal de Lille en France. Il s’agit du jugement qui a décidé de l’annulation d’un contrat de mariage car la jeune mariée a menti à son époux en ce qui concerne sa virginité. Le tribunal a justifié cette annulation par un vice du consentement qui a affecté la volonté de l’une des deux parties, à savoir l’époux, et ce en conséquence d’une erreur objective et déterminante sur laquelle il a bâti son acceptation d’honorer le contrat.

Ce jugement prononcé au nom de la République Française laïque pourrait être considéré comme une régression grave par rapport aux acquis historiques de la modernité en France, car il représente un retour au système judiciaire où prédomine le pouvoir discrétionnaire du juge. Comme si ce dernier avait le pouvoir d’édicter des lois et d’avoir ainsi recours à des modèles juridiques qui ne figurent pas dans le code, pour incriminer ce que la loi n’incrimine pas et permettre ce qu’elle prohibe. Ce jugement nous rappelle l’Ancien Régime quand les tribunaux en France pouvaient prononcer dans un cas similaire des jugements différents fondés sur le large pouvoir des juges. C’est ce qui est arrivé par exemple au procès tragique de Calas au milieu du XVIIIème siècle, preuve du degré de décadence des jugements judiciaires de cette époque. Voltaire a consacré à ce procès un livre, son fameux « Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas ».

Cependant ce jugement prononcé par le tribunal de Lille n’est pas seulement une erreur judiciaire mais une déchéance éthique en premier lieu. En effet, le mariage est un contrat, mais c’est un contrat de nature spéciale. En tant que contrat, il obéit à des éléments de base et des conditions. En cas d’absence de l’un de ses éléments il devient nul et non avenu. Le juge français a cependant considéré que ce contrat est fondé sur le consentement mutuel et dont le corps de la femme était l’objet et que l’hymen fait partie de l’objet de ce contrat. Il lui a accordé une telle importance de manière à ce que son absence constitue une tromperie sur la marchandise en l’occurrence le corps de la femme, ce qui nécessite la résiliation du contrat. En d’autres termes, l’intention de l’acheteur a subi un préjudice en raison de la dissimulation par « le vendeur », qui est ici la femme, d’une qualité essentielle touchant son corps.
L’hymen fait partie du corps de la femme, mais le contrat de mariage se fonde sur le partage et le choix du conjoint et non sur l’achat du corps de la femme et ce qu’il renferme. Qu’est-il arrivé concernant cette décision ? Le contrat de mariage a été abusivement assimilé à un contrat de vente, or le contrat de mariage est fondé sur le partenariat des époux. Donc, le tribunal français n’a pas fait la distinction entre un contrat de mariage et un contrat d’achat d’une voiture ou d’un bien immobilier ou toute autre transaction marchande.

La question de l’hymen ne peut être considéré en France, en aucun cas, comme un principe de base ni une condition sine qua non sans laquelle le mariage est impossible. En fait, la pensée juridique moderne considère que ce qui tombe sous le coup de la négation ou de l’affirmation, de la valorisation ou de la dépréciation, de l’incrimination ou de la légitimation que ce soit du point de vue juridique ou moral n’est pas la manière d’être de la personne (suo modo di essere), mais son comportement dans l’action ou l’inaction. Ceci ne peut affecter sa manière d’être car de ce fait seront torpillées toutes les réalisations accomplies par la pensée juridique et la philosophie du droit depuis la Renaissance jusqu’à nos jours. Supposons que ce tribunal soit saisi d’un procès de mariage entre une française et un musulman et que l’épouse découvre que son époux est circoncis contrairement à ce qu’il a prétendu pendant les fiançailles, le tribunal prononcerait-t-il l’annulation du contrat de mariage pour tromperie sur la marchandise en l’occurrence le corps de l’homme ? Si un procès était soumis par un patron à une juridiction en vue d’annuler un contrat entre lui et son employé parce que ce dernier déclare dans les documents présentés qu’il est blanc alors qu’il est de couleur ou bien qu’il est chrétien alors qu’il est musulman, la juridiction prononcera-t-elle l’annulation du contrat ?

L’avocat du plaignant dit que l’époux a pris cet engagement sous l’effet d’une erreur objective. Il se réfère à une jurisprudence française selon laquelle un contrat de mariage a été annulé parce que l’épouse a découvert que son époux est un ancien détenu. Mais il s’agit là d’un sophisme car le vice qui a été dissimulé et qui a entrainé l’annulation du contrat de mariage ne concerne pas la manière d’être de la personne mais relève d’une conduite criminelle découlant d’une action ou d’une abstention punie par la loi.

Suivant ce raisonnement sophistiqué le parlement français devrait en toute logique voter une loi punissant la femme ayant perdu son hymen en dehors d’un coït licite, pour utiliser les termes de la shari’a islamique. Ceci irait très bien dans le sens d’une mondialisation régressive. La jurisprudence française aurait ainsi mis à mal le système judiciaire et moral en France. Si la justice française continuait à commettre de pareilles graves et profondes erreurs judiciaires, le droit français risquerait de ne plus s’appliquer à tous les français, mais des dispositions différentes seraient appliquées en fonction de la religion, du sexe ou de la couleur… L’idée de citoyenneté et du principe de l’application de la loi à tous, abstraction faite des différences entre les citoyens, serait sacrifiée au communautarisme.

L’annulation de ce mariage n’est pas le premier cas du genre en France. On a constaté que l’Etat français est allé loin dans la discrimination entre ses citoyens, pour preuve le fait de fermer « l’œil juridique » sur les musulmans polygames, alors que la loi française punit les personnes d’origine européenne qui pratiquent la polygamie. Si la transgression des lois françaises et la violation des acquis de la modernité continuaient, nous aurions besoin d’autres Lumières en Europe…

Dr Mohammad Abdel-Mouttaleb Al-Houni, juriste, homme d’affaires et intellectuel libyen, à la tête de la magistrature libyenne jusqu’en 1975, établi aujourd’hui en Italie.

Traduit par Nabil Ajan

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