Conscient de sa puissance, le Hezbollah a toujours réussi, par le passé, à vaincre ses démons en s’interdisant de commettre l’irréparable. Il savait parfaitement qu’il était capable d’écraser ses opposants et de leur imposer par la force ses quatre volontés. S’il rechignait à le faire, c’était pour préserver la « sacralité » de son image et pour ne pas s’embourber dans un conflit interconfessionnel dont il redoutait les conséquences.
Ni la résolution 1559, ni la guerre de juillet 2006 et encore moins les menaces proférées quotidiennement par les États-Unis n’ont pu porter atteinte à son omnipotence. De tous les combats, il sortait victorieux et son arrogance enflait à mesure qu’il relevait les défis. Toute sa « sagesse » consistait à « prendre sur lui » et à supporter ses adversaires qui rêvaient secrètement de le voir anéanti par n’importe quel moyen et par n’importe qui, y compris par Israël bien sûr.
Et puis, il y a eu le tournant du 7 mai. Un changement de cap mûrement réfléchi et où rien n’a été laissé au hasard. En l’annonçant, dans un long discours « didactique », Hassan Nasrallah affichait une sérénité peu coutumière comme s’il voulait prouver d’abord à lui-même, mais aussi à ses adversaires qu’il était enfin prêt à franchir le Rubicon.
Aucun danger imminent ne le menaçait et il ne pouvait rien craindre de la part d’un gouvernement qui n’avait même pas osé démonter quelques tentes gardées par des fumeurs de narguilé et qui plus est, ne disposait d’aucun moyen pour entreprendre la moindre action contre le réseau incriminé.
Hassan Nasrallah voulait en fait châtier l’outrecuidance d’un gouvernement qui a osé défier sa toute-puissance. Il fallait impérativement montrer à ces garnements ce dont il était capable et leur infliger une leçon dont ils se souviendraient longtemps. Il voulait prouver sa détermination à défendre son statut armé à n’importe quel prix, même s’il lui fallait transformer son parti en une milice prête à conduire l’hydre sectaire au cœur de la ville paisible.
L’erreur stratégique du Hezbollah, c’est qu’en ouvrant la boîte de Pandore, il croyait pouvoir trier les démons qui allaient en sortir et les y ramener à sa guise. Il ne pouvait pas ignorer que l’hydre une fois lâchée devenait incontrôlable et nul, ni lui ni le Dieu dont il se gargarise, ne pourraient plus en maîtriser les ravages.
Hassan Nasrallah a gagné, mais ce qui s’est passé ne sera ni ignoré ni oublié. Un mur de haine s’est dressé et tout retour au statu quo ante est impossible. Les Arabes accourus pour empêcher l’embrasement généralisé imposeront probablement un moment de répit et déplaceront le curseur de la crise. Les protagonistes auront juste le temps pour préparer le prochain round d’une guerre qui ne fait que commencer.
En fin de compte, l’alternative est simple et procède d’une exclusion mutuelle. L’État libanais ne pourra survivre tant que l’État Hezbollah reste en vie. L’inverse est tout aussi exact.