« L’Union fait la Force »
Devise de la Belgique
C’est du moins la quintessence de la rhétorique officielle qui nous sermonne quotidiennement sur l’efficacité de la triade « Peuple-Armée-Résistance » en matière de défense nationale. Pitoyable et pathétique spectacle qu’a donné d’elle-même cette entité trinitaire durant cette soirée du mois de Ramadan (mardi 24/08/2010) où tout un quartier de Beyrouth fut mis à feu et à sang par des affrontements armés entre milices diverses. L’ironie du sort a voulu que l’une d’elles (Hezbollah) soit un parti se réclamant directement du monde divin alors que l’autre, appelée Ahbach, soit une société dévote dont le statut officiel se résume à l’action humanitaire. On savait, depuis longtemps, ce dont est capable « Résistance », ou parti divin, en matière de violence ainsi que les malheurs que sa stratégie militaire a fait subir à « Peuple » sous le regard neutre de « Armée ». Les journées sanglantes de Mai 2008 marqueront pour longtemps la mémoire collective sans oublier les ruines et les victimes de la guerre de juillet 2006, déclenchée par le Hezbollah de l’aveu même de son chef : « si j’avais su que ce serait ainsi, je n’aurais pas commencé ».
Mort de l’unité politique
Les rhétoriciens et les spécialistes en langue de bois se contorsionnent pour nous faire admettre que la défense de la patrie libanaise est l’œuvre d’une entité trinitaire appelée « Peuple-Armée-Résistance ». Dans tous les pays du monde, la défense du territoire national est l’œuvre exclusive du peuple souverain, au moyen de ses forces armées sous la direction du pouvoir politique qui le représente et agit en son nom. Le corps du grand malade Liban aurait donc perdu son élémentaire cohésion et serait actuellement décomposé en trois entités distinctes : Peuple-Armée-Résistance. Et c’est cet état de décomposition avancée qu’on veut nous faire prendre pour une situation saine et salutaire, alors que c’est le signe même de la mort de l’unité politique qui est le fondement même de tout état. Le Royaume de Belgique, lui aussi en décomposition avancée, a pour devise nationale « L’Union fait la Force ». Ce slogan, car ce n’est qu’un slogan, pourrait être adapté au Liban pour devenir « La Désunion fait la Force » car tel est le sens précis de l’équation trinitaire « Peuple-Armée-Résistance » que les spécialistes de la langue de bois s’efforcent de nous inculquer en nous faisant prendre nos propres vessies pour des lanternes.
La troupe et ses exploits
Il y quelques semaines, lorsqu’Israël s’en était pris à un arbre frontalier, « Armée » avait violemment répliqué sous les applaudissements nourris de « Peuple » et de « Résistance ». Cette dernière avait même déclaré qu’elle était derrière la troupe face à l’ennemi. Dont acte.
Mais au cœur de Beyrouth, en ce mardi 24 août 2010, la triade Peuple-Armée-Résistance s’est avérée n’être qu’une surréaliste et dangereuse illusion. On s’est battu à l’arme lourde, non contre Israël mais entre « amis » puisque les belligérants Ahbach et Hezbollah appartiennent au même camp, celui de l’irrédentisme (moumana’a) qui prône la lutte au finish contre Israël. Les rues de Beyrouth ont-elles été un champ d’entraînement ? Quelqu’un parmi les combattants, s’est il préoccupé de la sécurité de la population et de l’intégrité des biens publics et privés ? Non.
Que faisait la troupe pendant ce temps ? A-t-elle protégé les personnes, les biens publics et privés ? A-t-elle fait respecter la loi en rétablissant l’ordre public par la force, c’est-à-dire en usant de violence contre les miliciens du parti divin, le Hezbollah, et leurs amis de la société dévote des Ahbach, qui se querellaient à l’arme lourde suite à une « rixe » entre copains, nous a-t-on dit ? L’enquête en cours devra répondre à ces questions cruciales.
Le sursaut du souverain
Tout citoyen doté d’un minimum de cervelle doit pouvoir faire un constat fort simple. La décomposition avancée du Liban a pour cause principale l’existence d’armes illégales entre les mains de groupes divers qui se réclament d’une cause quelconque pour exercer leur pouvoir sur une population qu’ils prennent en otage. Depuis mai 2008, Beyrouth est en principe une ville militairement occupée par des milices même si ces dernières sont composées de citoyens libanais. Que fait la puissance publique pour défendre l’intégrité de tout un chacun, assurer l’ordre public et garantir la paix civile ? La récente soirée maudite du mardi 24 août, nous a prouvé l’incapacité de l’Etat à assurer son rôle premier : protéger le citoyen ; et ce n’est pas l’incident glorieux de l’arbre frontalier d’Adaïssé qui changerait quoi que ce soit à cette constatation de bon sens.
Si tel est le cas et si l’Etat n’est plus en mesure de remplir sa fonction première, le souverain, c’est-à-dire le peuple, doit alors agir parce qu’il est souverain et parce que la souveraineté est inscrite dans l’identité de chaque citoyen. Le peuple n’a plus qu’à prendre en mains sa propre destinée. Comment ? Avant tout, refuser l’équation trinitaire de la langue de bois « Peuple-Armée-Résistance ». Le peuple souverain peut proclamer la désobéissance civile […] Il lui appartient de jeter hors de chez lui toutes les milices à la solde de l’étranger, avec leurs armes, leurs slogans, leur rhétorique mensongère. Le peuple peut, en désespoir de cause, faire appel à la communauté internationale afin de le protéger etc.
Et si cela s’avère impossible, il n’y a plus qu’à tirer les conclusions qui s’imposent. Au Liban il n’y a pas une trinité unie et indivisible, mais plutôt deux puissances publiques, deux volontés souveraines, deux états formant un seul gouvernement qu’on doit oser qualifier de fédéral et non d’union nationale.