Ce petit royaume aux mains d’une monarchie sunnite accueille la Ve flotte américaine. Mais la majorité de sa population n’est pas insensible aux sirènes de l’Iran.
«Stop à la torture !», «Non à la naturalisation des étrangers !», «Une famille régnante illégitime…» En ce vendredi matin, la police antiémeute n’a pas encore eu le temps d’effacer les slogans subversifs placardés durant la nuit par les chiites d’al-Diraz, à la périphérie de Manama, la capitale. Comme tous les week-ends, les forces de sécurité sont sur le qui-vive dans les zones chiites de Bahreïn, le seul pays du Golfe peuplé d’une majorité de chiites (70 %), mais gouverné par des sunnites. Autour de poubelles qui s’enflamment, policiers et jeunes en colère se font face. La violence reste contenue, mais pour combien de temps encore ?
«Comment pourrais-je être loyal envers un régime qui recrute des sunnites pakistanais pour nous réprimer ?» s’écrie Ali, un jeune d’al-Diraz, un de ces villages chiites défavorisés où, à quelques mois des élections législatives, et dans un con texte tendu par la menace nucléaire iranienne, les rancœurs alimentent le communautarisme. Soucieux de ne pas armer les chiites, le pouvoir, depuis quinze ans, fait massivement appel aux Balouches, Jordaniens et Irakiens dans les forces de sécurité et les services de renseignement. «Eux n’ont aucun complexe pour nous taper dessus», s’insurge Ali. Sa colère est d’autant plus forte que la nationalité leur est généralement accordée, une faveur rarissime dans les monarchies du golfe, dénoncée par les chiites bahreïniens comme une manœuvre pour inverser la courbe démographique.
Dans une péninsule arabique rigoriste et au sous-sol gorgé de pétrole, le discret royaume de Bahreïn fait figure d’exception. L’archipel n’a que ses banques pour assurer son développement. Alors que l’alcool coule à flots dans les bars fréquentés par des prostitués asiatiques, 37 Juifs vivent encore en bonne intelligence avec l’écrasante majorité musulmane d’un pays dirigé par un monarque éclairé(voir ci-dessous), Cheikh Hamad Ben Issa al-Khalifa, qui a nommé dix femmes dans l’une des deux chambres du Parlement. Mais ce fragile équilibre est remis en question par la frustration rampante d’une communauté qui regarde aussi du côté de l’Iran, «la mère patrie» des chiites à travers le monde.
«Ce n’est pas parce que vous trouverez des portraits de Khomeyni dans les maisons que nous sommes loyaux envers Téhéran», se défend Hussein, un retraité des télécommunications. «Mais on ne sait pas ce qui peut arriver, ajoute-t-il, si, demain, l’Iran est attaqué.» Dans son salon, des jeunes, assis par terre, égrènent leurs revendications : du travail dans la fonction publique, un meilleur accès à la propriété foncière et la libération des derniers prisonniers politiques. Habilement, le pouvoir a coopté quelques chiites au gouvernement, mais ces personnalités jouissent de peu de crédit auprès de la base. Depuis les dernières élections de 2006, à l’issue desquelles 17 chiites ont été élus à la seconde chambre du Parlement, la communauté est divisée entre une frange qui accepte de jouer le jeu des institutions et les jusqu’au-boutistes qui veulent un changement de régime. «Ils avaient cru au changement en 2006, mais, depuis, leur situation ne s’est guère améliorée», constate un diplomate.
Inquiétude américaine
Les autorités redoutent que certains jeunes désœuvrés soient une proie facile pour les agents iraniens, à l’œuvre auprès des communautés chiites du Golfe, comme l’a montré le démantèlement récent de plusieurs cellules chiites pro-iraniennes à Koweït. La tension est régulièrement alimentée par des déclarations de responsables iraniens qui revendiquent, ni plus ni moins, Bahreïn. Inquiets, les États-Unis ont décidé de doubler la superficie de leur base à Bah reïn, siège de la Ve flotte dans le golfe Persique, où la France dispose également d’un important centre d’écoutes.
«Comment voulez-vous qu’on puisse leur faire confiance, déclare à propos des chiites un fonctionnaire du ministère de l’Information. Ces gens-là remettent en cause la légitimité du régime.» «Faux, répond Ali, nous ne sommes pas partisans d’un recours à la violence. Mais, si on fait brûler des poubelles, c’est parce qu’on ne nous a jamais entendus.» Après le Liban et l’Irak, la majorité chiite de Bahreïn compte sur la démocratie pour arracher un partage du pouvoir. Aux législatives, prévues à l’automne, elle réclame une dose de proportionnelle et un juste découpage électoral. Son but : l’avènement d’une monarchie constitutionnelle sur le modèle britannique, avec la possibilité de remplacer le premier ministre, un cousin du roi, en place depuis près de quarante ans.
Cheikh al-Khalifa protège les derniers Juifs du royaume
Ils ne sont plus qu’une quarantaine, mais les derniers Juifs de Bahreïn peuvent se vanter d’être protégés par le roi, cheikh Issa al-Khalifa. Ces dernières années, le monarque a multiplié les gestes en leur faveur. D’abord en nommant, en 2008, Houda Ezra Ebrahim Nonoo ambassadrice aux États-Unis. Mme Nonoo est ainsi devenue la première ambassadrice juive d’un pays arabe. Ensuite, cheikh al-Khalifa s’est rendu à Londres pour appeler les Juifs bahreïniens expatriés à revenir au pays. Puis il a nommé certains membres de leur communauté au Majlis al-Shoura, l’assemblée consultative qui siège aux côtés de la Chambre haute du Parlement. Descendants de Juifs irakiens ou iraniens, la plupart sont arrivés dans l’archipel en 1948, au moment de la création d’Israël. Ils disposent encore d’une synagogue. Si Bahreïn n’a pas de relations diplomatiques avec l’État hébreu, il ne boycotte plus depuis 2004 les entreprises étrangères commerçant avec Israël.