L’ÉCLAIRAGE
Dans douze jours, soit le 25 mars, le pays entrera dans le délai légal prévu pour l’élection du nouveau président de la République. Conformément aux termes de la Constitution, l’élection du chef de l’État par la Chambre des députés doit se faire dans un délai de deux mois précédant l’expiration du mandat du président sortant. Dans le cas présent, le mandat présidentiel expire le 25 mai prochain. De ce fait, le scrutin doit avoir lieu entre le 25 mars et le 25 mai.
À l’approche de cette échéance, les grandes manœuvres en vue de l’élection d’un successeur au président Michel Sleiman ont d’ores et déjà commencé. À en croire des observateurs avertis, la campagne lancée par le Hezbollah contre le président Sleiman s’inscrit dans le cadre de ces manœuvres. Le député Nawaf Moussaoui, membre du bloc parlementaire du Hezbollah, a souligné il y a quelques jours sur ce plan que le parti chiite est favorable à l’élection d’un « président fort, capable de défendre le Liban et la résistance » (entendre, le Hezbollah). Le député n’a évidemment pas élaboré davantage sa conception du « président fort ». Mais les observateurs locaux soulignent à ce sujet qu’aux yeux du parti chiite pro-iranien, le président fort est celui qui s’aligne sur le projet politique du Hezbollah et qui se soumet pratiquement au diktat du parti chiite. Un président qui défendrait, par contre, la souveraineté et l’indépendance, et qui soutiendrait la primauté de l’État en s’abstenant de faire preuve de suivisme à l’égard du projet politique du Hezbollah, est considéré par le 8 Mars comme un président « faible ».
Les attaques virulentes et frontales lancées par le bras armé des pasdaran au Liban ont précisément pour but de tenter de faire barrage aux positions souverainistes fermes adoptées par le président Sleiman. Dans ses récentes déclarations qui ont provoqué l’ire du Hezbollah, le chef de l’État n’a fait que se conformer à son serment constitutionnel et rester fidèle à sa mission nationale en tant que chef de l’État. En tirant à boulets rouges sur le président Sleiman, le Hezbollah s’emploie à faire comprendre aux candidats à la présidence et au futur chef de l’État que ce genre d’attitude souverainiste échappant au diktat du camp pro-iranien est inacceptable.
Cette manœuvre s’est traduite par la position adoptée par le parti chiite lors des travaux de la commission ad hoc chargée d’élaborer la déclaration ministérielle. Le Hezbollah cherche par tous les moyens à amener le nouveau gouvernement de Tammam Salam, et par ricochet le 14 Mars, à reconnaître le droit de la « résistance », en d’autres termes le Hezbollah, à agir de manière totalement autonome, indépendamment de l’État central. Le parti chiite refuse dans ce cadre toute mention dans la déclaration ministérielle qui constituerait une entrave ou un obstacle à son autonomie. Le Hezbollah ne veut pas créer un précédent à cet égard en acceptant une clause qui remettrait en question son indépendance vis-à-vis de l’État, de peur qu’une telle clause ne soit exploitée par le prochain président pour lui rogner les ailes et le mettre progressivement au pas. D’où le message qu’il cherche à transmettre à l’avance à tout prochain président en s’en prenant aux orientations du président Sleiman.
Le Hezbollah n’est évidemment pas la seule faction à avoir lancé ses manœuvres dans la perspective de la présidentielle. Dans les capitales des grands pays décideurs, les hauts responsables officiels auraient déjà défini dans les grandes lignes ce qu’ils estiment être le profil le plus adéquat du futur président : celui-ci devrait avoir de l’envergure et de l’expérience ; il devrait bénéficier d’une assise populaire bien établie au niveau de la rue chrétienne ; de même qu’il devrait être modéré et faire preuve d’un esprit d’ouverture… À l’évidence, aucun nom particulier n’est avancé dans les grandes capitales occidentales ou arabes, les dirigeants de ces pays soulignant que le nouveau président devrait être le fruit du jeu politique interne.
Il reste que ce dossier de la présidentielle fait quand même l’objet de tractations et de discussions à l’étranger. C’est dans ce contexte que s’inscrit la visite de l’ambassadeur américain à Beyrouth, David Hale, à Washington où il a été rappelé en consultation à la veille de la prochaine visite du président Barack Obama en Arabie saoudite. Indice significatif : de source diplomatique, on indique que l’ambassadeur Hale fera partie de la délégation présidentielle américaine qui se rendra en Arabie saoudite. Cela signifie que le dossier de la présidentielle au Liban sera vraisemblablement évoqué au cours de ce sommet américano-saoudien. Les milieux diplomatiques à l’étranger indiquent dans ce cadre que les décideurs internationaux mettent l’accent sur le respect des échéances constitutionnelles au niveau de l’élection présidentielle afin de ne pas tomber dans le vide au niveau des institutions étatiques libanaises, ce qui risquerait d’avoir des retombées particulièrement néfastes dans le contexte régional actuel.
À l’approche donc de l’échéance prévue par la Constitution pour l’élection du président, les supputations vont bon train sur l’identité des candidats les plus en vue dans la course à la première magistrature. Dans le camp du 14 Mars, les tractations en coulisses ont déjà été entamées à ce sujet de manière discrète. Quant au 8 Mars, le candidat le plus médiatisé est le chef du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun. La question est toutefois de savoir si celui-ci pourrait bénéficier de l’appui de toutes les composantes du 8 Mars et, parallèlement, du leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt. Des sources généralement bien informées croient savoir sur ce plan que le président de la Chambre et leader du mouvement Amal, Nabih Berry, a son propre candidat à la présidence qui n’est pas, à l’évidence, le général Aoun. Quant au Hezbollah, il n’a pas encore défini publiquement sa position à ce sujet, à l’instar, évidemment, de M. Walid Joumblatt.
Un député du 8 Mars affirme de son côté que le camp du 14 Mars ne parviendra pas à s’entendre sur un candidat unique en raison de la multiplicité des prétendants à la première magistrature. Sauf qu’en définitive, force est d’admettre que ce sont les développements et les équilibres régionaux qui détermineront dans une certaine mesure le profil des deux candidats qui croiseront le fer, en fin de course, pour succéder au président Sleiman.