Sans attendre que le régime de Bachar al-Assad ait levé les doutes sur sa participation ou sa non-participation à la Conférence dite « Genève 2 », que Russes et Américains disent vouloir organiser à une date encore indéterminée pour rechercher une solution politique à la crise en Syrie, plusieurs partis politiques syriens ont pris leurs dispositions pour y être présents dans les rangs de l’opposition.
Au cours d’une conférence de presse tenue à Damas le 15 mai, Mazen Maghrebiyeh, président du Troisième Courant pour la Syrie, a lancé un appel aux partis, courants et mouvements de « l’opposition pacifique ». Il les a invités à sélectionner deux de leurs membres en vue de constituer un rassemblement ou une alliance. Au cours de « séances consultatives », puisque ce terme est désormais à la mode en Syrie, ces délégués mettront en place la commission qui permettra à leurs partis de se présenter comme une force unie au dialogue ou à la négociation.
Parmi ceux auxquels s’adressait son appel figurait la Coordination Nationale des Forces de Changement Démocratique, dont le coordonnateur général est Hasan Abdel-Azim, secrétaire général du Parti de l’Union Socialiste Arabe Démocratique (nassérien), et le coordonnateur général adjoint Mohammed Saleh Mouslim, président du Parti de l’Union Démocratique, branche syrienne de l’ancien parti indépendantiste des Travailleurs du Kurdistan (PKK).
Figurait également le Courant de la Construction de l’Etat de Louaï Huseïn, créé par des dissidents de la Coordination Nationale.
Figurait enfin la Coalition des Forces de Changement Pacifique. Créée il n’y a guère, cette Coalition, sur laquelle plane l’esprit et la main du général Ali Mamlouk, directeur des Renseignements généraux, réunit des partis pour la plupart créés au cours de l’année 2012, à savoir :
– le Parti de la Volonté Populaire de Qadri Jamil,
– le Parti Syrien Démocrate Social d’Ali Haydar,
– le Troisième Courant pour la Syrie de Mazen Maghrebiyeh,
– le Courant de la Voie du Changement Pacifique de Fateh Jamous,
– le Rassemblement Marxiste Démocratique de Nayef Salloum,
– le Courant de l’Action Nationale,
auxquels s’ajoutent les Comités du Mouvement Populaire de Deïr al Zor, Qnaynes et Amouda.
Dédaignant cet appel, la Coordination Nationale a confirmé, le 18 mai, qu’elle participerait à « Genève 2 », où elle souhaitait que l’ensemble de l’opposition soit regroupée dans une seule et unique délégation. Pour ce qui la concernait, elle serait représentée par l’ensemble des membres de son bureau exécutif. Mais, consciente qu’ils n’avaient aucune chance d’être tous admis, le nombre des participants ne pouvant qu’être limité, elle les ainsi classés par ordre de priorité :
– Abdel-Aziz Al Khayyer,
– Haytham Manna,
– Raja Al Naser,
– Moundher Khaddam,
– Jamal Molla Mahmoud,
– Aref Dalileh,
– etc…
Sans attendre sa réunion du 23 mai, au cours de laquelle elle renouvellera ses instances et indiquera si et à quelles conditions elle participera à cette rencontre, la Coalition Nationale des Forces de la Révolution et de l’Opposition Syrienne a réagi à cette annonce. Le 19 mai, elle a indiqué par la voix de Georges Sabra, son président par intérim, qu’il était hors de question pour elle de siéger au sein d’une même délégation avec la Coordination Nationale, dont « la participation était une demande des Russes », « cohérente avec leurs objectifs politiques bien connus ».
Sur le fond, le président en exercice du Conseil National Syrien s’est déclaré pessimiste. Les chances de succès de « Genève 2 » étaient « très faibles ». Il ne pouvait pas éprouver d’autres sentiments en constatant « qu’aucun ordre du jour clair n’avait encore été élaboré » et que « la liste des participants manquait de précision », pour ne rien dire des « divergences entre la Russie et les autres Etats concernant la participation de l’opposition ».
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Une autre position de la Coalition Nationale, unique représentant légitime et reconnu de l’opposition syrienne, aurait été étonnante. Elle ne pouvait pas attendre la réunion de son Assemblée générale – qui doit également se prononcer sur les modalités et l’ampleur de son élargissement – pour lever l’ambiguïté. Elle se devait de rappeler que ce qui la distingue de la Coordination Nationale est l’un des points de désaccord entre les Amis du Peuple Syrien et les « amis du régime syrien », à savoir le sort de Bachar Al Assad.
Ce point ne dérange pas outre mesure la Coordination, à en juger par l’empressement avec lequel elle a confirmé sa participation, depuis la Syrie comme depuis l’étranger. Hasan Abdel-Azim l’a d’ailleurs indiqué en déclarant à un quotidien koweïtien que « la mise à l’écart du président, sur laquelle nous n’avons pas d’emprise, ne figure pas parmi nos revendications ». On comprend pourquoi cette opposition a les préférences de Moscou…
En revanche, il paraît lourd de conséquences pour les Forces de la Révolution et de l’Opposition. Renoncer à inclure l’abandon du pouvoir par l’actuel chef de l’Etat, à un moment ou un autre de la procédure de transfert du pouvoir à un gouvernement ou une instance présidentielle d’union nationale, et se rendre à Genève sans avoir obtenu des garanties sur ce point de la Russie et des Etats-Unis, constitueraient pour elle une trahison des révolutionnaires et de leurs revendications. Car, derrière la personne du chef de l’Etat, temporairement ou définitivement dispensé de rendre compte des crimes contre le peuple syrien dont il porte la responsabilité, pourraient être préservés ses appareils de répression, militaires et moukhabarat piliers de son régime, et la structure confessionnelle du système en place.
S’il est difficilement envisageable pour la Coalition Nationale de siéger avec la Coordination Nationale dans une seule et même « délégation de l’opposition », il est strictement impossible pour elle de le faire avec la Coalition des Forces du Changement Pacifique… à laquelle la Coordination Nationale elle-même n’a pas pris la peine de répondre ! Les partis qui la composent ressemblent à s’y méprendre, à quelque 40 années de distance, aux partis soumis à l’hégémonie du Parti Baath au sein du Front National Progressiste. Autorisés dans la mesure où ils acceptaient de n’avoir pas d’autre ambition que de servir de faire-valoir au pouvoir en place, quitte à avaler des couleuvres et à renoncer à toute idée autonome de changement et de réforme, ils n’ont ni base populaire, ni marge de manœuvre. Ils doivent pour certains leur visibilité médiatique, sans rapport avec leur inexistence politique, à la propulsion de leurs chefs à des postes au sein du gouvernement. Leur « opposition » au pouvoir en place est une plaisanterie.
Il en va ainsi de Qadri Jamil, dont la nomination à un poste de responsabilité relative – 4ème vice-premier ministre… – au sein de l’équipe de Riyad Hijab puis de Wa’el Al Halqi, faisait office de bonne manière en direction des Russes. L’intéressé est depuis longtemps l’une de leurs créatures en Syrie, moins en politique qu’en affaires. Ce n’est donc ni pour son autorité, ni pour son honnêteté qu’il a été promu… à un poste ne correspondant ni à ses ambitions, ni aux promesses qui lui avait été faites, mais pour la docilité qu’il manifeste en actes, si ce n’est toujours en paroles, et pour sa totale allégeance au pouvoir en place.
Il en va de même aussi d’Ali Haydar, choisi pour occuper le poste de ministre de la Réconciliation nationale, alors que l’un de ses frères et l’un de ses beaux-frères font partie de l’encadrement du camp de Deir Chemayyel. Situé à 20 km de Masiaf, sa ville natale, ce camp accueille des milliers de chabbiha. Répondant respectivement au nom de Ahd Haydar et Fahd Badr, les deux hommes sont eux-mêmes sous les ordres du colonel à la retraite Fadlallah Mikhaïl. Tout ce beau monde est supervisé par les moukhabarat de l’armée de l’air, eux-mêmes mis en cause dans plusieurs rapports internationaux pour leurs atteintes graves et répétées aux Droits de l’Homme en Syrie.
Si l’une ou l’autre de ces respectables personnalités avaient exprimé la moindre divergence avec leurs mentors, ils auraient bénéficié de l’hospitalité des moukhabarat dont profite déjà, depuis septembre 2012, le Dr Abdel-Aziz Al Khayyer, directeur du bureau des relations extérieures de la Coordination Nationale. L’inscription de ce dernier en tête de la liste des possibles « délégués » de ce rassemblement à la conférence de « Genève 2 », une manière discrète de solliciter sa remise en liberté, constitue le défi maximum que ses camarades peuvent prendre le risque d’opposer au pouvoir en place… En revanche, s’ils avaient des idées quelque peu déviantes par rapport à celles du pouvoir, ils auraient partagé le sort de l’ancien ministre de l’Information Mohammed Salman. Pour avoir critiqué la gestion du parti ex-dirigeant de l’Etat et de la société, l’ancien haut responsable a été prié de se taire et de renoncer à présenter aux législatives des candidats de son parti, l’Initiative Nationale Démocratique. Depuis lors, il n’a plus été autorisé à quitter le territoire national.
Il n’échappe pas à la Coalition Nationale qu’avant même d’avoir décidé qui le représenterait à « Genève 2 », le régime s’emploie à brouiller les cartes comme à son habitude et à préempter quelques sièges de l’autre côté de la table, au sein de la délégation de l’opposition, afin d’être « représenté » des deux côtés.
Il lui faudra donc discerner, lors de son Assemblée générale de jeudi prochain (23 mai), où se trouve son intérêt et jusqu’où elle peut concéder sans trahir les attentes des Syriens… dont l’aspiration à la paix n’a d’égal que la volonté de changement.
– Doit-elle refuser de céder sur les principes, prenant ainsi le risque d’irriter des « Amis » dont l’aide n’est jamais ni sûre ni désintéressée, et dont rien ne dit qu’ils ne reporteront pas leurs espoirs déçus sur une instance plus docile, moins « islamiste » et plus « démocratique »… à défaut d’être plus représentative ?
– Doit-elle manifester sa bonne volonté en faisant acte de présence, de manière à pouvoir défendre au plus haut niveau, pour la première fois en face des Amis du peuple et des « amis du régime » réunis, le bien fondé de ses revendications, y compris la mise à l’écart du chef de l’Etat ?
– Doit-elle accepter de siéger au sein d’une seule et unique délégation de l’opposition, pour tenter d’y faire prévaloir son point de vue et, refusant les conciliations qui s’apparentent à des trahisons, démontrer que Bachar Al Assad n’a pas sa place dans une Syrie démocratique ?
– Doit-elle faire semblant d’ignorer que ceux qui l’incitent à faire des concessions n’ont aucune envie d’exercer des pressions sur l’autre partie en présence, et que certains d’entre eux ont déjà en tête un autre scénario qui privilégie les militaires au détriment des politiques et des aspirations des Syriens à construire un Etat civil démocratique ?
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Pour mémoire : Communiqué final de la réunion du Groupe d’Action sur la Syrie réuni à Genève le 30 juin 2012.