Comment l’Egypte a perdu l’usage de ses facultés

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Fruit dans un premier temps d’une thèse, qui procède d’une longue analyse des mutations égyptiennes à partir des premières bases d’enseignement du XIXe sous le règne de Mohamed Ali, fondateur de l’Egypte moderne, jusqu’à la chute de Moubarak, Egypte d’une révolution à l’autre, écrit dans une langue claire, a été enrichi à la lumière des événements révolutionnaires de 2011. Le constat, au bout de ces 300 pages, est que le système universitaire égyptien, malade d’une bureaucratie cinglée, de plus en plus dévoré de l’intérieur par l’obscurantisme islamiste, est drôlement malade. Le lecteur découvre pourtant une Egypte, alors sous occupation anglaise, au moment de la création de l’Université libre du Caire (1908), fascinée par les influences culturelles et scientifiques françaises et anglaises. Une Egypte où les cerveaux s’exportaient comme des machines outils vers la Sorbonne ou Oxford.

La place laissée par les Français et les Britanniques sera d’ailleurs partiellement occupée par les Américains (et l’American University in Cairo). Jusqu’à l’époque nassérienne, les modèles d’enseignements ont été calqués sur l’Occident. Mais la révolution de 1952, qui porte Nasser au pouvoir, est marquée par l’influence soviétique et une volonté «de former en masse», souligne Eva Saenz-Diez. Cette période nassérienne est aussi marquée par la chute du niveau de l’enseignement supérieur, surtout en sciences humaines, notamment par l’éviction des remarquables intelligences qui baignaient dans plusieurs cultures (juive, arménienne, grecque, française). La relève ne fut jamais assurée. Sous Sadate, «dans les années 70, plus de 70% des émigrants étaient composés d’enseignants ou d’ingénieurs qualifiés». L’auteure met en lumière cette fuite des cerveaux et, en parallèle, l’influence islamiste grandissante dans les universités. La période Moubarak, insiste-t-elle, est marquée par l’essor considérable des universités privées et autres écoles de langues pour palier la médiocrité des établissements publiques qui sombrent sous le nombre d’étudiants.

L’auteure, elle-même arabisante, s’est ainsi tenue au chevet de l’université égyptienne pour ouvrir au bistouri un système qui ne produit plus d’élite et qui, quand elle en tient une, finit par la décourager. Eva Saenz-Diez termine son livre sur le problème que poserait l’arabe dans la transmission du savoir, une langue merveilleuse mais enveloppée dans un papier de soie depuis treize siècles pour ne pas en rayer l’ivoire : «Le handicap majeur de l’Egypte, par ailleurs valable dans le monde arabe, est lié au statut de la langue. Le rapport à la langue est théologique et donc inviolable. […] L’étude du Coran, langue du VIIe siècle, pose un problème de conceptualisation qui se reflète sur le niveau des élèves.»

Egypte d’une révolution à l’autre : politiques d’enseignements et changements sociaux, d’Eva Saenz-Diez, éditions Publisud, 316 pp., 29 €.

Libération

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