(Vue aérienne du Fort neuf de Vincennes, où la DGSE emménagera en 2028.)
La DGSE quittera son siège du boulevard Mortier en 2028 pour des bâtiments flambant neufs au Fort Neuf de Vincennes. Une opération estimée à 1,4 milliard d’euros, que le patron du service Bernard Emié s’est employé à défendre lors d’une audition à l’Assemblée nationale.
Sa parole est rare, elle n’en est que plus scrutée. Auditionné à huis clos le 12 avril par la commission de la défense de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, une audition dont le compte-rendu vient d’être publié, le patron de la DGSE Bernard Emié s’est livré à un état des lieux assez exhaustif de l’état de son service. La priorité de l’ancien ambassadeur en Turquie et au Royaume-Uni, qui dirige le service de renseignement extérieur depuis 2017, est claire: la DGSE doit rester dans le gotha mondial du segment, aux côtés de la CIA, du MI6 ou du Mossad. « C’est une obsession pour moi: ne pas décrocher du peloton de tête, rester dans la course des grands services de renseignement de la planète et ainsi préserver notre autonomie », assurait Bernard Emié aux députés.
Pour tenir cet objectif, le déménagement du service du boulevard Mortier (20ème arrondissement de Paris) vers le Fort Neuf de Vincennes (12ème arrondissement), annonc
Un crapaud bloque un premier projet
Le siège actuel, constitué de la caserne des Tourelles et de la caserne Mortier, des deux côtés du boulevard Mortier, n’était plus adapté, jure Bernard Emié. « Aujourd’hui, nos locaux sont situés, d’un côté du boulevard Mortier, dans ceux du 1er régiment du train, de l’autre, dans un camp d’internement qui a accueilli des femmes juives mais aussi des Républicains espagnols pendant la seconde guerre mondiale, souligne-t-il. Malgré les efforts pour les optimiser au fil des ans, ils ne sont pas du tout fonctionnels. »
Un déménagement du service au Fort de Noisy, à Romainville, qui héberge le service Action et une partie de la direction technique, avait été envisagé en 1992, projet connu sous le nom de « Fort 2000 ».Le programme avait été abandonné en 1996 du fait de l’opposition de riverains, et de la présence d’un petit batracien, le crapaud calamite, comme l’a raconté Le Point. La DGSE, à l’époque dans la seule caserne des Tourelles, avait hérité de la caserne Mortier, à quelques dizaines de mètres, où elle a pu s’étendre, un souterrain reliant les deux emprises.
Mais la montée en puissance RH du service a mis en évidence le manque d’espace du site de Mortier, malgré le creusement de nombreux sous-sols. « Les effectifs étant passés de 3.000 à 6.000 et bientôt 7.000, nous sommes particulièrement à l’étroit, indique Bernard Emié. Il était indispensable de trouver de nouveaux locaux pour améliorer nos capacités d’accueil pour les nouvelles générations ainsi que pour optimiser le travail avec les autres services. »
Quel effet de l’inflation?
Le déménagement dans le Fort Neuf de Vincennes s’annonce comme une opération monumentale. Par son coût, d’abord: dans un rapport du député Jean-Charles Larsonneur publié en octobre 2022, ce dernier était estimé à 1,4 milliard d’euros, dont 1,16 milliard d’euros pour le déménagement proprement dit, et 232 millions d’euros pour l’évacuation des militaires et civils de la défense qui occupent actuellement le site (24ème régiment d’infanterie, service de santé des armées, commissariat des armées, détachement Sentinelle).
Et l’inflation risque encore de faire grimper la facture. « Nous serons, naturellement, très vigilants sur l’évolution des coûts, car les intrants augmentent et l’inflation est là, assure Bernard Emié. Le moment venu, nous devrons négocier de façon très dure avec les entreprises concernées pour faire en sorte que « l’édredon rentre dans la valise ». »
Ce coût fait tiquer certains spécialistes. « Cela semble cher pour traverser le périphérique, estimait en juin 2022 dans Challenges l’ancien député LR François Cornut-Gentille, longtemps rapporteur des crédits de défense à la commission des finances. Mais peut-être est-ce pleinement justifiable? Le problème est que le Parlement ne peut pas exercer son pouvoir d’évaluation sur ce projet d’infrastructure majeure, car le ministère l’a abusivement classifié. »
18 sites étudiés
L’ancien député s’interrogeait aussi sur le choix du Fort Neuf de Vincennes. « Il est certain que le siège actuel, au cœur de Paris, semble aujourd’hui inadapté, reconnaissait-il dans la même interview. Le Fort Neuf de Vincennes l’est-il plus pour autant? L’environnement direct du fort me paraît problématique. Le ministère a-t-il étudié d’autres options? Pourquoi ne pas avoir retenu une construction neuve dans un environnement plus adéquat, comme le plateau de Saclay ou Satory? Impossible d’avoir une réponse. »
Localisation des 18 sites étudiés par le ministère des Armées pour y installer la DGSE. Crédit : ministère des ArméesLe ministère des Armées a en fait étudié 18 sites en Ile-de-France, dont Saclay, Satory, Nanterre, Rungis, Ivry, Villeneuve-le-Roi, Gonesse, Aulnay-sous-Bois, Val-de-Fontenay, Marne-la-Vallée. Parmi eux, plusieurs sites parisiens (Porte de la Villette, Porte de la Chapelle, Bercy, et le Fort Neuf de Vincennes). « Le seul site qui répond à l’ensemble des critères est celui du Fort Neuf à Vincennes (quatorze hectares dans l’enceinte des fortifications), assurait un dossier du ministère des Armées publié en juillet 2021. Le site possède également un atout indéniable en termes de sécurité passive grâce à ses fortifications: son historique d’ancien fort induit une mise à distance naturelle du domaine public avec le bâti grâce aux douves. »
Les travaux promettent également d’être longs. Ils doivent s’étaler de fin 2024 à début 2028. Les bâtiments les plus récents, datant des années 1980, seront détruits. Les manèges équestres et la poudrière seront en revanche conservés et valorisés. Si la DGSE prévoit un emménagement courant 2028, elle devra encore cohabiter avec l’armée quelque temps. Un quart nord-ouest restera à la disposition de l’opération Sentinelle jusqu’en 2031.